Alors, je sais, on va nous dire qu'on débloque, qu'on rabâche avec
Raoul Sinier, mais voilà, les faits sont là, encore une incroyable tripotée de morceaux issus du crâne probablement fêlé de cet artiste insatiable.
Brain Kitchen , 3° long format, annoncé il y a quelques mois en grande pompe par
le radis samouraï, est effectivement au rendez-vous. Toujours épaulé par son impressionnante armada de machines masochistes - depuis le temps qu'il tire dessus, franchement comment en douter -
Raoul poursuit ses expérimentations sombres et souterraines avec au résultat, ces 14 titres aussi étranges qu'attachants. Oui, attachants, mais plutôt comme des sutures.
Dans l'ensemble, plus intrusifs et moins introspectifs que ne le laissaient entendre les dernières livraisons, ce disque ne s'écoutera pas pour autant tranquillement en groupe. Même si l'idée, peut-être un brin périlleuse dans sa mise en œuvre, n'est pas aussi saugrenue qu'il n'y parait. Bien sûr, un public averti s'y retrouvera plus facilement, c'est évident ; cependant rien n'empêchera quelques novices en ligatures électro-glitch d'être pris des même balancements de tête, d'avant en arrière, entre plénitude autiste et pulsion épileptique.
Initiés et débutants réunis dans la même expectative, celle de révélations qui, bizarrement, ne se produisent jamais. C'est là un des vices de
Sinier, titiller par morceaux interposés les synapses, tournebouler les araignées au plafond des psychés sans promesses de réponses à la clé. Histoire que rien ne vienne entraver l'envie de réécouter, qu'il ne reste que celle d'y retourner.
Une posture pour l'auditeur tenue de bout en bout de cet opus qui, tantôt torve (le louche
256) et grouillant (le poisseux
Ants Mayhem), parfois aérien (le gothique
Brain Kitchen tout droit sorti d'un film de la Hammer) et surtout contondant (courbatures aux tympans assurées avec l'enchaînement
Solid Flesh et son camouflage jazzy associé à la castagne de
The Incredible Spitting Machine), démarre de la plus pugnace, mais attendue, des manières.
En effet, après une ouverture bien ancrée sur des positions qui depuis
Two Heads Ep. nous sont familières (le breakbeat de
Listen Chose comme le groove vénéneux de
King Frog),
Brain Kitchen finit par très rapidement armer une descente vertigineuse dans les méandres d'un cerveau qu'on sent rompu à l'exercice, battant au rythme effréné de 1000 idées à la minute.
De l'électro hybride entre IDM et sonorités hip-hop - c'est immanquable, c'est écrit dessus - assombrie de distorsions et de claviers stridents autant que lacérés, immédiate comme elle l'était sur
Wxfdswxc2, la musique de
Sinier se fait plus insidieuse, n'attendant plus les échéances de sortie discographique pour muter. Aujourd'hui c'est à l'échelle de chaque morceau qu'elle se transforme, rendant obsolète les idées même de "structure" ou de "concept".
Loin de toute tentative d'intellectualiser son approche (rappelez-vous il en est allergique) - ce qui n'empêche évidemment pas que tout ça garde un aspect réfléchi et prémédité remarquable - c'est en mettant l'accent sur l'éclectisme (
Stone Pills est déroutant de revirement, chausse-trappe et autres coups fourrés soniques) et l'acuité rythmique (servie par un production d'une précision effrayante d'efficacité) que l'ex-
Ra crée une nouvelle fois la surprise, nous donnant des raisons supplémentaires de croire qu'il devient essentiel que cette démarche fasse école, et pour cela, que beaucoup plus d'oreilles puissent gouter cet univers sonore si particulier (oui,
Ad Noiseam a bel et bien du pain sur la planche !).
Et qui sait, peut-être qu'un jour tous les apprentis alchimistes, Dr Frankenstein et Golem du bleep, mieux que de taper dans la facilité et ses plats réchauffés, rejoindront cette "cuisine du bulbe" où, entre singularité et prise de risque constante, le Grand Chef
Sinier a d'ores et déjà prouvé, qu'on pouvait vivre et créer, si ce n'est en symbiose, du moins en bonne intelligence, avec ses idées noires.
Chroniqué par
Yvan
le 01/05/2008