"On n'est que de la magie".
Omnikrom débarque et tacle ses rimes en franglois dans le texte, sans détours ni pulsions autres que "le love de l'argent' et l'envie de coucher avec ta maman. Sans se priver de faire savourer le calice de leurs rimes par l'insistance d'un accent à faire remuer d'illustres cercueils, déployant même tous ses effets en fin de phases, le duo québecquois distribue ses petites coupures lyricales avec la désinvolte assurance de garçons parvenus, advenus, qui ont déjà vu, rappé et vaincu. Où le rap est devenu moins l'expression d'une minorité qu'un moyen privilégié d'affirmer un style, et dans ce contexte les intonations natives de ces jeunes ne sont plus un handicap mais un atout majeur pour déjouer la gravité.
Leurs phrasés s'animent en effet sous des rimes perfides comme un revers de Gustavo Kuerten, se contorsionnent, font tendre l'oreille et se tordrent les cous. Totale embuscade. Vous vous souvenez le gangster star
Heenok et ses fleurs de rhétorique gangsta, traduites littéralement.
Jean Bart et
Linso Gabbo le déboutent sur son terrain en authentiques agents doubles de la langue, saisissent la chance de cette spécificité d'être à la fois en prise directe avec l'opportunisme nouveau riche des modèles américains passés des ruelles aux avenues, et la fantasmagorie potentielle des mots de Molière. C'est donc tout un vocable monstrueux qui jaillit comme autant de miracles dans les machoires obstinées du duo. La quasi intégralité de ce
Futurs millonaires vol 2 24 pouces glacées t'entretient avec talent de pouliches en chaleur et de gloires de phoking stars, avec pour extrême exemple,
XXX ce soir, qui va chercher ses lettres de noblesse dans les arrières-salles du rap pornographe et revient avec une rivière de diamants autour du sexe, arrachée à force de punchlines dans le pur style hustler : "Oups j'ai tâché tes draps / Je m'excuse je visais ton visage".
De pouliche à poutine, de potiches à potaches, il n'y a que quelques lettres qu'on se gardera d'interchanger : si l'affaire sérieuse de ces quelques pistes est de donner de la joie et prendre du bon temps, n'allez pas prendre le disque, sous le prétexte de ses thématiques caricaturales, sous le mode du seul humour. Rien de pire qu'un sketch sur CD, et hormis quelques moments où le flow s'essoufle, pas de ça ici. Comme il s'en réclament eux-mêmes : c'est de la musique, et mieux que ça.
Et pour cette raison, de la même façon qu'on ne reproche pas à Uma Thurman de massacrer des dizaines d'asiats pour le plaisir (qui croit vraiment à cette histoire de vengeance quand elle prend son pied dans la scène de l'escalier ?), les jugements moraux n'ont pas lieu d'être ici, et les principaux intéressés règlent le problème des rabats-joies en deux temps trois phases : "Au moins la moitié de ce que je dis je le pense / Veux-tu vraiment savoir laquelle ?" ; "Groupie love, Omnikrom rap féministe". Les codes du rap le plus racoleur sont faits pour être radicalisés, et ce ne sont pas ces autoproclamés "pourris" qui vont s'en priver.
Achète-moi et l'ultime exercice de style
Casquette de géants sont de ces hymnes matérialistes et provoquants dont il importe peu de savoir le degré de cynisme ou de conscience de soi pour apprécier : "Omnikrom, putes" !
Brillent les synthés "yurocrunque" de
Tepr,
Kid Rolex ou
Figure8, bounce le gros avec le judicieux beatmaking grime de chambre de
Ghislain Poirier, parfumé au sirop d'érable ; et le club banger
Pour te réchauffer avec
TTC de résumer ces obsessions canadiennes sur un impeccable beat métronome. Si t'es un vrai Montréalais (dans l'âme), saute en l'air pour te réchauffer... Et achète
Futurs millonaires vol 2 24 pouces glacées.
Chroniqué par
Guillaume
le 10/05/2006