En s’incarnant dans l’entité double
Et Sans, qui au surcroît d’êtres attendu substitue une vacance, une absence, sorte de fragment de phrase perdu,
Roger Tellier-Craig et
Alexandre Saint-Onge tentent de réduire la musique au simple geste qui la fait apparaître dans les enceintes, le geste qui la fait surgir dans l’espace sonore : une sorte de sound design qui interrogerait ses conditions mêmes de possibilités et les explorerait si avant qu’il irait jusqu’à les mettre en crise, jusqu’à les saboter ou établir leur nullité, leur inconsistance et partant, l’inconsistance même du son qui se diffuse dans l’espace ou qui se trouve gravé à l’état muet dans les sillons de l’objet.
Et de fait, le tout se présente sous une forme désossée, déchiquetée : que ce soit le titre qui essaie de faire circuler un sens devant et dans l’espace sonore, ou la pochette elle-même, amas de couleurs empilées de manière informelle, avec quelques fragments de textes qui voudraient nous communiquer le nom des auteurs, le nom de leur objet, trop émiettés cependant pour être lisible. Silhouettage et défiguration d’un texte qui trouve son double dans la musique, silhouettée avant d’être défigurée, mise en forme avant d’être rageusement biffée. Quand il ne subsiste rien alors que quelque écoulement de sons aquatiques et granulaires, quelques modulations de souffle accumulées, demeure en fin de compte, peut-être, l’énergie rageuse de la biffure, jusqu’à parvenir à un résidu sonore excrémentiel : « Et Sans : véritable organe de distribution de l'excrémentialité partagée. », d’après leurs auteurs. Rien n’a plus droit de cité ici, sinon quelques traces, quelques objets en instance d’effacement : « L'objet lui-même est l'espace d'un geste qui s'efface et efface la surface qui devient ici une accumulation du même en décomposition. » dixit, encore,
Tellier-Craig et
Saint-Onge. Agglomération de sons en décomposition, sound design du rebut, des épluchures et des pelures, quand la surface musicale de l’objet et l’objet disparaissent, il ne vous reste plus, auditeurs, qu’un plaisir de l’intellect à saisir ce qui est advenu ici et, non plus alors un plaisir de la musique pour elle-même, mais une jouissance purement physique de la présence de l’objet, de sa destruction et de sa disparition.
Chroniqué par
Mathias
le 12/12/2005