« Le jazz est mort ». Mort, depuis qu’on l’a écrit*. C’est dire, c’est à dire, qu’il n’est pas mort, mais que, comme toute forme musicale qui perdure, il se survit constamment à lui-même, s’inventant tant bien (parfois) que mal (parfois).
Parfois, il suffit de peu de choses, au premier abord, pour que le jazz s’en tire à bon compte. Disons : deux saxophones, un violon et une batterie. Une configuration plutôt originale qui se baptise :
E.C.F.A. Quartet. Configuration d’où l’on tire des sonorités saisissantes, dérangeantes et même tendres. On entendra un exemple de cette « tendresse » en écoutant les deux dernières minutes de
Maddox, For Dave Maddox : passage inattendu et, dans une certaine mesure, impossible à attendre qui prolonge les accents dodécaphonistes de la pièce, mais sur un mode presque résigné selon la lamentation du violon.
Le violon y est donc pour beaucoup qui attire le jazz du quartet vers d’autres horizons que ceux dans lesquels il s’origine. Il tire la musique vers un certain sérialisme (
Cokeloss, For Alex Coke et
Maddox, For Dave Maddox). Lorsqu’il est amplifié, il y ajoute une certaine puissance, jouant avec les harmoniques et les figures rythmiques imposées par l’archet, finissant d’inscrire, avec toute la résolution de l’électricité, la musique du quartet dans le présent (
Selbstverwatung).
Plus généralement, c’est la texture sonore créée par l’entrelacs des saxophones et du violon que l’on retiendra comme mode de fabrication des motifs complexes typiques de la musique de
E.C.F.A. Quartet (
Swaps, For Steve Lacy).
« Le jazz est mort ». On pourrait presque y croire, c’est tentant, il est vrai. Et puis, non, au contraire, il nous rappelle même qu’il fut une musique de danse, ce à quoi il parvient sans mimer une quelconque forme de dance music, music ou muzak dans laquelle il espérerait puiser une seconde jeunesse, mais bien plutôt en rappelant un certain swing :
Arbeit Ethisch, For Ken Vandenmark se joue sur le rythme imposé par la batterie dans l’attaque brève, sèche, répétée et, en quelque sorte, pulsionnelle (il y a plus, en effet, dans ce geste répétitif que la seule pulsation, plus qu’une simple manifestation rythmique : une manifestation érotique qui suit la danse de près).
Ouvrir ainsi
Die Mitte, c’est peut-être, en somme, refuser les clichés de l’avant-garde pour proposer une version inactuelle du jazz. C’est aussi tracer des lignes, dessiner des continuités entre la baguette et l’archet, raconter des histoires d’attaque que l’on dit en un souffle. Ces lignes, ces continuités sont des relations que l’on imagine à l’image de celles qui unissent les membres du quartet aux destinataires des titres : elles attachent moins qu’elles ne réunissent temporairement des entités disparates et éloignées.
* Il faut lire, par exemple, l’intermède de Bastien Gallet : « Le corps du jazz » dans son livre consacré aux musiques électroniques et à la philosophie :
Le Boucher du Prince Wen-Houei, Musica Falsa, 2002.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 05/12/2005