Echelonnée entre 1988 et aujourd’hui, l’écriture de cette
Trilogie d’Ondes, triptyque pour ondes Martenot et bande magnétique, écrit pour l’ondiste
Suzanne Binet-Audet ne semble pourtant pas sujette au passage du temps. Au contraire, on croirait qu’un seul et même geste préside aux trois mouvements, tant se manifeste une unité d’écriture tangible entre les trois mouvements, y compris pour le profane que je suis, et qui s’essaie à parler de musique plus contemporaine que véritablement électronique, mais qu’importe.
Voilà donc nos trois pièces écrites dans des contextes fort différents les uns des autres, écrites en des lieux distincts (Montréal, l’Europe), créées lors d’événements eux aussi forts distincts (des festivals de musique électro-acoustique européens et canadiens) et initialement publiés sur des disques eux aussi distincts. Les sources d’inspiration elles aussi varient du tout au tout, puisque
La Voix blanche est une commande de
Suzanne Binet-Audet tandis que le dernier volet,
La Perle et l’Oubli, est écrit à partir d’un texte gnostique du deuxième siècle,
L’Hymne de la perle, attribué à Bardesane.
Malgré cette diversité de contextes, les gestes d’écriture mis en jeu dans les trois volets se rejoignent et forment un tout. Le principal, qui préside à tout le cycle, est le dialogue de deux thèmes (dixit le compositeur et son interprète) qui sont également les cellules récurrentes de l’œuvre : le
thème de l’arrachement, déployé selon un long glissando ascendant, et le
thème de l’âme, plus harmonique et doux, ensemble égrené de quatre notes qui apportent une respiration après la violence de l’arrachement et qui, dans son lyrisme en demi-teinte, est plus épelé que linéaire. Ces thèmes pour ondes se fondent, dans leur succession, avec le matériau riche en timbres divers, de la bande magnétique, ou s’en dégagent, au gré des inflexions des pièces. Le tout s’organise de manière équilibrée autour de
Là où vont les nuages, puisque ce second volet privilégie le
thème de l’âme, tandis que la qualité de la bande magnétique se distingue ici des deux autres volets, par sa variété supérieure de couleurs, d’harmoniques et de timbres.
Le plus important reste que ces trois pièces tirent un large parti des possibilités des ondes Martenot, tour à tour violentes et mystérieuses, douces et inquiétantes, dans un parcours opératique qui semble figurer l’aventure mystique d’une âme ou d’une conscience. Quand enfin a lieu la dernière apparition du
thème de l’âme, destiné à clore la trilogie, la tonalité s’enfonce vers des octaves plus graves et la pièce omet la dernière des quatre notes : de cette absence jaillit une sombre aura qui résonne comme une disparition incommensurable, un désastre qui, pour infinitésimal qu’il semble, est gros d’une catastrophe secrète, encore à venir.
Chroniqué par
Mathias
le 15/11/2005