C'est toujours un plaisir de découvrir un beau disque de folk né par accident, comme celui-ci. Cette gestation incertaine, accomplie de peu, improbable en somme et presque miraculeuse, magnifie la rareté et la fragilité de ce disque, en plus de lui conférer une garantie d'authenticité.
C'est donc sous les meilleurs auspices que j'aborde ce
Songs of Green Pheasant, perdu entre l'anonymat (est-ce le titre de l'album ? Ou le pseudonyme de son compositeur ?) et l'absence de titre. Dix chansons composées par
Duncan Sumpner qui envoya à
Fat Cat une démo il y a trois ans, avec un adresse mail erronée. Il a fallu deux ans au label pour retrouver la trace de Duncan et publier la chose. Cet album est donc une sorte de
Lost Tape, quelque chose enterré dans l'oubli, exhumé dans le secret. L'économie de moyens touche immédiatement, et, comme toujours chez
Fat Cat, l'émotion prime la perfection technique. Une instrumentation. simple mais riche dans sa rusticité (guitares acoustiques et électriques 12 cordes, boîte à rythme, basse, racks d'effet...) suffit à faire passer l'émotion, rehaussée d'harmonies vocales séductrices. Parfois, l'homme s'autorise quelques improvisations, quelque bruitisme : la guitare saturée de
Nightfall, qui tire le morceau vers le sublime, ou les bruits et rires de
Knulp.
Ces moyens limités ne signifient donc jamais une absence d'ambition et de portée musicale ; au contraire, ils semblent concourir à la conviction avec laquelle chaque titre est joué, à la profondeur et la chaleur de morceaux folks aux structures complexes :
The Burning Man et
The Wraith of Loving sont clairement construites à partir de la répétition de rythmiques libres sur lesquelles se greffent toute sorte d'improvisations sonores et de
shoegazing. Un album de folk faussement simple, avec ses profondeurs et ses surfaces.
Surtout, ce qui frappe est l'espace d'une vastitude infinie (
Until...,
I Am Daylights) qui se dessine en chaque titre : chacune de ces chansons baigne dans un écho dû à la compression numérique employée pour supprimer le bruit de fond de l'enregistreur 4 pistes (
Hey Hey Wildnerness). Ce traitement lui aussi fortuit fait étrangement ressortir certains mots ou notes, les révèle au plein jour, comme si la publication de ce disque devait arracher au secret ce qui n'était alors connu que du seul
Duncan Sumpner.
Ce disque est donc le fruit d'une longue aventure, étrange et onirique, dont chaque chanson est la trace et le témoignage réitérés. Son ambition – utiliser des formats simples pour les complexifier (
From Here To Somewhere Else) et parler de choses elles aussi complexes et basiques à la fois : haine, amour, mort - est en somme accomplie par cette aventure fortuite, cette série d'accidents qui font émerger du silence un disque qui se tient toujours à l'orée de celui-ci (
Truth but not fact), à l'extrême limite de ce qui peut encore être dit et de ce qui, déjà, ne peut plus l'être (
Soldiers kill their sisters), quand l'on demande à une instrumentation davantage baroque (glockenspiel, synthétiseur) de témoigner de vérités encore imprononcées (
Truth but not fact,
From Here To Somewhere Else).
Sans toutefois se hisser jusqu'au génie sobrement délirant et rituel d'
Animal collective,
Duncan Sumpner signe un excellent disque de folk habité, rêveur comme un gris dimanche
dans la campagne écossaise, qui hisse encore d'un degré
Fat Cat parmi les labels aux avant-postes du renouveau folk.
Chroniqué par
Mathias
le 13/09/2005