Art Brut, c'est du rock'n'roll conceptuel. Exactement au sens où l'on parle d'art conceptuel : une musique où l'idée et le texte à son fondement priment la sensation et le rapport direct à celle-ci. Pour du rock'n'roll qui se veut échevelé comme celui-ci, il y a comme un non-sens qui fait de ce disque, sinon un bon album, du moins une date, un cas unique, quelque chose qu'il faut connaître comme une étape de l'histoire du rock ou plutôt comme un de ces manifestes par lesquels le scandale arrive, quelque chose qui peut-être retombera dans l'oubli ensuite. Est-ce à dire que ce disque a de la valeur ? Pas forcément, et il me semble davantage mériter un débat cravaté autour d'une table plutôt que des écoutes répétées. Rien de bien rock'n'roll, donc.
Pour parler de ce disque, se munir d'un article double : d'une part pour dire ce qu'il est musicalement parlant, de l'autre pour en révéler la position idéologique et, éventuellement, dénoncer la supercherie qui s'y dissimule.
De la musique gravée dans ces sillons, tout se dira très vite : des
Clash au
Velvet en passant par
Gang of Four,
Art Brut connaît ses classiques sur le bout des doigts et cela s'entend. Malgré l'énergie assurément séduisante, juvénile et fraîche qui parcourt
Bang Bang Rock & Roll, il n'y a rien de neuf ou qui n'ait déjà été entendu ailleurs chez
Art Brut. En soi, c'est déjà presque un exploit, produire un disque intégralement fondé sur le pastiche ou (au choix) le pillage. Au crédit d'
Art Brut également, la force de stupéfaction de leurs vocaux, à les entendre marteler lors d'une incantation épileptique "18 000 lira !!" dans le titre du même nom.
Restent les paroles qui, tout en étant hilarantes, font de cet album un objet détestable, quelque part entre le foutage de gueule intégral et la nouvelle sensation pour wannabe déglingo en mal de hype. Sont donc passés en revue les thèmes éminemment adolescents la coucherie manquée (option problèmes d'érection) sur
Rusted Guns Of Milan ("I know I can I know I can I know I can / It doesn't mean that I don't love you / One more try with me above you"), de la haine très bas de plafond vouée à l'art moderne sur
Modern Art ("Modern Art makes me want to rock out !"), de la découverte émerveillée d'une nudité dans un esprit potache et
American Pie sur
Good Week-End ("I've seen her naked TWICE ! I've seen her naked TWICE !"), le tout racheté par une morale qui rassurera les parents : "I can't get on my old flame / I'm still in love with Emily Kane !" (
Emily Kane).
Art Brut, ou comme il est bon d'être un lycéen boutonneux.
Le problème de ce disque restant l'imposture complète qu'il constitue : former un groupe de rock, oui, mais en dénoncer, ironie et faux cynisme à l'appui, combien il est ridicule et vain d'être dans un groupe ("Formed a band ! We formed a band ! Look at us ! We formed a band !" sur
Formed a Band), sans oublier de rire des problèmes du monde ("We're gonna be the band that writes the song that makes Israel and Palestine get along"). Des rockeurs qui ne croient pas un instant au rock'n'roll, ce qui en soi n'est pas forcément un mal ("My little brother just discovered rock'n'roll ! There's a noise in his head, and he's out of control !" sur
My Little Brother), grimés en déconstructeurs chics :
Bang Bang Rock & Roll par
Art Brut, tout un programme. Cette musique est fun. Elle est insupportablement stupide. Drôles de fossoyeurs…
Chroniqué par
Mathias
le 22/08/2005