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Dossier

: Salmigondis



Plutôt qu'un bilan de fin d'année, fêtons celle qui arrive avec une sélection d'albums dont on a auparavant loupé le coche, plus quelques oldies à redécouvrir et deux excellentes sorties de 2022. Bonne écoute et surtout : bonne année.

Colin Stetson & Sarah NeufeldNever Were the Way She Was (Constellation, 2015)

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Si l'on associe volontiers le saxophone et le violon aux deux grandes familles musicales que sont respectivement le jazz et la musique classique, pléthore d'artistes ont su faire dévier ces deux instruments de leurs sources originelles afin de créer de la matière sonore inédite. C'est notamment le cas de l'américain Colin Stetson qui transforme son saxophone basse en monstre tentaculaire dont la viscéralité se déploie dans des compositions mettant à l'honneur sa maîtrise de la respiration circulaire. La violoniste canadienne Sarah Neufeld s'écarte pour sa part de la pop symphonique des premiers Arcade Fire avec lesquels elle jouait pour mieux flirter avec les boucles hypnotiques et reichiennes de la musique répétitive quand elle ne rend pas magnifiquement compte des multiples aspérités de son instrument. Autant dire que la rencontre de ces deux artistes, et de cette combinaison pas forcément évidente sur le papier, ne pouvait produire qu'un miracle étincellant que l'on peut aisément tenir comme un sommet de musique inclassable, entre fulgurances néoclassiques et pulsations organiques. Moins indispensable que ce Never Were the Way She Was mais néanmoins intéressant, Colin Stetson a sorti cette année un album de drone ambient : Chim​æ​ra I.

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Meat WaveMalign Hex (Swami, 2022)

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"Punk is not dead". On ne le répétera jamais assez et ce fut encore le cas cette année avec quelques bombes fracassantes comme celles de Tvivler (pour les amateurs de noise), de Birds In Row (pour les amateurs de screemo hardcore) ou encore de Gilla Band, anciennement Girl Band (pour les amateurs de.. hmm.. harsh noise, no wave et autres musiques déstructurées). On ajoutera donc à la liste l'excellent Malign Hex du trio chicagoan Meat Wave que l'on découvre seulement maintenant, le groupe ayant déjà 5 albums à son actif. Ce dernier s'inscrit quant à lui dans la lignée d'une sorte d'emocore musclée à l'ancienne (on pense parfois aux Hot Snakes dans ses moments les plus pétaradants). L'album oscille ainsi entre de violentes bousculades aux guitares frénétiques et des phases mélancoliques plus en retenue, une terre de contraste qui fait un bien fou à entendre et hérisse souvent les poils dans ses envolées (Waveless ci-dessous). On va donc rattaper notre retard et découvrir le reste de la discographie de cet excellent groupe (l'EP de "confinement" Volcano Park en 2021 est déjà un must).

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SeabuckthornOf No Such Place (LAAPS, 2022)

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Nous suivons la discographie de Seabuckthorn (aka le projet solo d'Andy Cartwright) depuis son septième album A House With Too Much Fire de 2018, c'est-à-dire depuis que le guitariste britannique a quitté les grandes plaines de son pays natal pour s'installer dans nos Alpes du Sud françaises. Le musicien poursuit son exploration sonore sur les indispensables labels ambient de Mathias Van Eecloo (Eilean, IIKKI puis maintenant LAAPS) et continue de nous offrir des albums s'éloignant toujours un peu plus de la folk instrumentale pour rejoindre une forme de modern classical parsemé de field recording, soit une musique que l'on situerait quelque part entre l'œuvre de Richard Skelton et celle de Chris Watson. Andy Cartwright crée sur ce nouvel album des compositions immersives et lancinantes, d'une profondeur nouvelle due en partie à la contrebasse jouée parfois à l'archet de Phil Cassel qui l'accompagne sur ce projet. Les guitares acoustiques et le picking folk d'il y a quelques années ont quasiment disparu de ce sismique et merveilleusement sensoriel Of No Such Place qui ouvre la voie à de nouveaux reliefs dans la musique de l'anglais. Vivement la suite.

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Drab MajestyThe Demonstration (Dais, 2017)

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Trigger warning : cette chronique va parler de synth-wave. Et pas que. De cold wave, de dream pop et de toutes les vapeurs gothiques (mais non toxiques) émanant des années 80. Les allergiques aux corbeaux tels que les Sisters of Mercy ou les Cure de la période Faith/Pornography peuvent donc passer leur chemin mais les autres peuvent rester. Surtout que la palette sonore de Drab Majesty, projet solo de Deb Demure, personnage androgyne créé par le californien Andrew Clinco, ne se limite pas qu'aux influences gothiques mais va parfois puiser dans un shoegaze cotonneux à la Slowdive (Not Just A Name, Cold Souls). Moins radical dans sa noirceur que The Soft Moon, projet d'un autre californien (Luis Vasquez) – c'est à croire que le soleil californien donnerait à certains l'envie de se pendre dans la Death Valley – Drab Majesty revisite ici un passé dans tout son kitch assumé et offre quelques tubes mémorables : Too Soon To Tell ou 39 By Design (ci-dessous) qui évoque le suicide collectif des 39 adeptes de la secte religieuse Heaven's Gate en mars 1997. Ambiance.

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BlueboyUnisex (Sarah, 1994)

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Nous sommes en 1994, en Angleterre, la déferlante britpop bat alors son plein avec des groupes squattant les unes de la presse musicale de l'époque (par ordre de préférence : Blur, Oasis ou encore Supergrass) mais éclipse hélas certains artistes précieux qui respectaient pourtant on ne peut mieux les traditions d'une pop au raffinement so british. Citons Martin Newell qui s'échappe alors de ses Cleaners From Venus pour délivrer deux perles solitaires remarquables (The Greatest Living Englishman en 1993 et The Off White Album en 1995), citons également Moose qui s'éloigne du shoegaze de ses premiers EP afin de mieux peaufiner une pop classieuse et inspirée avec son magnifique album Honey Bee (1994). Sorti la même année qu'Honey Bee, le premier disque de la formation anglaise Blueboy s'inscrit quant à elle dans le style twee pop défendu par le label Sarah Records (The Field Mice). Entre innocence juvénile et romantisme fleur bleue (ou "mièvrerie" selon son degré d'acceptation au genre), Unisex est une œuvre remplie de grandes chansons pop (voire dreampop sur la sublime Lazy Thunderstorms) à la naïveté touchante et à la simplicité désarmante, une œuvre de pur cocooning osant parfois sortir les griffes (Imipramine).

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55 DelticYou Could Own An American Home (Autoproduit, 2019)

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On reste en Angleterre.. mais les influences de ce jeune groupe londonien ont toutes bien l'air d'être américaines, ce que semble d'ailleurs sous-entendre le titre donné à ce premier jet ("Tu pourrais posséder une maison américaine"). Les influences sont en tout cas si bien digérées que c'est à s'y méprendre, 55 Deltic livrant là une petite merveille d'indie rock, un disque fort attachant qui lorgne du côté de l'emocore et du shoegaze avec cet enregistrement lo-fi et do it yourself apportant un certain capital sympathie à l'ensemble (on pense parfois à Duster). Si l'album reste court et s'apparente plutôt à un gros EP, soit 8 titres pour environ 30 minutes, sa construction est néanmoins implacable dans l'agencement de morceaux à la puissance émotionnelle variable. De sa courte intro à son double bouquet final (Eden Valley Light et Fullbright) en passant par les superbes Glendale Girls et Leeds New Line ou encore la virevoltante Samantha (ci-dessous), You Could Own an American Home semble tirer profit de ses propres limites afin d'offrir une œuvre au pouvoir attractif assez remarquable. On espère que plein d'autres suivront.

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CalifoneRoots & Crowns (Thrill Jockey, 2006)

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Le label Thrill Jockey a eu cette année l'excellente idée de rééditer le sixième album du groupe chicagoan Califone sorti initialement en 2006. L'occasion d'arpenter une nouvelle fois ce joyau oublié d'un groupe assez inclassable naviguant dans les eaux troubles du folk-rock, de la musique alternative et de l'expérimental. Et s'il fallait découvrir Califone, l'album Roots & Crowns constitue en soi une porte d'entrée idéale dans le sens où ce dernier arrive miraculeusement à concilier les deux facettes du groupe, à savoir d'une part la beauté du songwriting et d'autre part le goût pour l'improvisation (la jam est notamment très présente sur un album comme Heron King Blues) voire l'exploration sonore pure et simple (le groupe étant parfois étiqueté "post-rock"). Roots & Crowns retrouve cet équilibre parfait qui faisait déjà de leur premier album Roomsound (2001) un grand disque, et érige un monument de bric et de broc dans lequel s'invite la voix éraillée de Tim Rutili, cousin éloigné du génial Jeff Tweedy de Wilco, et d'où s'échappe une myriade de grandes chansons fragiles, habitées, rugueuses et mémorables.

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SeamAre You Driving Me Crazy ? (Touch And Go, 1995)

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Voilà un album qui aurait pu augmenter mon dossier Itinéraire bis de l'Emocore déjà bien fourni. Il faut dire que l'histoire de l'indie rock américain des 90's regorge de pépites oubliées de ce calibre là. Après Meat Wave et Califone, on retourne une dernière fois à Chicago pour (re)découvrir ce groupe méconnu né des cendres de Bitch Magnet et développant un rock péchu et alambiqué que l'on pourrait vaguement raccrocher à la scène post-hardcore de cette époque (notamment celle du label Touch & Go qui les distribuait alors). Les compositions de Seam sont toutefois plus ouvertement mélodiques, presque mielleuses (Tuff Luck, Broken Bones), et offrent parfois de grands moments pop comme cette Rainy Season qui semble s'échapper du A Life Full of Farewells de The Apartments ou encore la lancinante et ascensionnelle Sometimes I Forget. Le chant en retrait de Sooyoung Park peut rappeler la voix des frères Kadane chez Bedhead, autre groupe américain ayant traversé trop discrètement les années 90 et étant devenu tardivement culte. Ne reste plus qu'à attendre un coffret de la discographie complète de Seam chez Numero Group.

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Sylvain ChauveauUn Autre Décembre (130701, 2003)

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Quelques notes de piano éparses, quelques interférences çà et là, pas grand chose en soi mais juste assez pour que le toulousain Sylvain Chauveau nous fasse chavirer dans une rêverie poétique et doucement mélancolique. Un Autre Décembre est fragmenté en quelques miniatures pouvant rappeler à la fois Erik Satie et (vaguement) le glitch de Oval sur les 4 "granulations" du disque. Pas grand chose en soi, "presque rien" pour citer l'œuvre de Luc Ferrari, mais tout un petit monde à investir, tout un espace vide à remplir de son propre imaginaire, toute une obscurité à illuminer de sa foi en la beauté de l'art dans ce qu'il peut avoir de plus essentiel. Sylvain Chauveau a sorti d'autres disques magnifiquement épurés à cette époque (Nocturne Impalpable en 2001) dans lesquels son piano minimaliste était recouvert d'arrangements subtils, Un Autre Décembre tient donc une place relativement à part, et sa redécouverte reste encore et toujours un plaisir, plaisir qui se savoure d'autant plus en hiver.

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LowTrust (Kranky, 2002)

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On se devait de terminer l'année par un hommage à Mimi Parker, la chanteuse et batteuse de Low nous ayant quitté en novembre dernier à l'âge de 54 ans et c'est peu dire que sa disparition (et donc in extenso celle de ce duo américain emblématique) laissera un grand vide dans nos cœurs meurtris. Beaucoup d'albums du groupe ont déjà été chroniqué sur le site donc le choix se dirigera vers un de ceux ayant manqué à l'appel, et pas des moindres : Trust. Après deux merveilleux albums enregistrés par Steve Albini ouvrant le slowcore de leurs débuts à un nouveau chapitre résolument plus pop (Secret Name et Things We Lost In The Fire), Low livre un album tantôt parfaitement synthétique (Trust est à la fois pop, rock, soul, folk..), tantôt intensément mystique via une poignée de compositions à la lenteur pénétrante, renouant en partie avec le passé du groupe (Amazing Grace, The Lamb, l'obsédante John Prine..). La dernier chanson Shots & Ladders semble quant à elle anticiper les expérimentations électroniques de leurs derniers albums et clôture l'album sur un ambiance onirique tutoyant les anges.



par Romain
le 01/01/2023

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