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Dossier

: Portrait électronique #4 - Philip Jeck



4e épisode des portraits électroniques dédié au célèbre platiniste expérimental Philip Jeck





Comme celle de Gavin Bryars, la musique de Philip Jeck vient des profondeurs. Depuis ses platines vinyle et son sampler, le britannique projette les sons de vieux enregistrements surannés à travers des abîmes liquides. Au craquement du disque, s’ajoute des sifflements amplifiés, des saturations et des rumeurs lointaines brouillées par des réverbérations spectrales. C’est un naufrage à l’envers : la carlingue monumentale d’un navire perdu au fond des mers qu’on remonte à la surface.

Ce sentiment est particulièrement prégnant quand on pose une oreille sur An Ark For The Listerner, le dernier album du britannique. Il s’agit d’une oeuvre « océanique » dont la récurrence des thèmes rappelle The Sinking Of The Titanic, le manifeste de Bryars. Il en possède peut-être par moment la même aura de majesté. Pour la petite histoire : Jeck s’est déjà réapproprié par le passé la pièce maîtresse du compositeur minimaliste, au côté du collectif Alter Ego. De là à parler de filiation, il n’y a qu’un pas qu’on aurait vite fait de franchir.

Pour autant, on ne dépasserait pas ici le mur des apparences car en musique, la véritable école de Philip Jeck fut celle des pionniers du turnatablism tel que Larry Levan, ou Walter Gibbons. On est alors dans le Londres des années 80 et ces figures de pointe du dub new-yorkais viennent se produire dans les clubs où Jeck officie en tant que Dj. Il a sans doute beaucoup appris de leurs gimmicks et de leur approche visionnaire de la matière singulière contenue sur les disques vinyles.

Mais c’est surtout sous l’influence du plasticien et platiniste américain Christian Marclay, que Jeck pousse sa pratique du turntablism vers des territoires encore vierges de tout défrichage et beaucoup plus visuels en substance : ceux de la performance live et du cinéma pour l’oreille. Désormais, les sonorités que Jeck ravivent depuis les tréfonds des sillons des disques vinyles s’agglomèrent en strates parallèles, dessinent des paysages éthérés où les repères sensitifs sont voilés par la brume des âges et les effets des consoles.

Il convient enfin d’insister sur l’importance du geste dans l’esthétique Jeckienne : motif performatif par lequel la mémoire sonore des vinyles est rendue à la vie, inhumée comme pour une séance de spiritisme de l’âge électronique. Ainsi, la dimension live s’oppose directement au travail traditionnel d’enregistrement en studio, d’archivage sur la matière inerte qu’est le Cd. C’est pourquoi chaque disque du britannique résulte d’un collage kaléidoscopique d’enregistrements de ses propres concerts, souvent assemblés d’une manière abrupte qui défie toute logique.

Editée par le label anglais Touch, l’œuvre de Jeck prend depuis une dizaine d’année une tournure ambient mais poursuit sur sa trajectoire singulière entre nostalgie créatrice et visions futuristes où l’essence profonde des disques vinyles forme le liquide amniotique d’une nouvelle conscience collective.



J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Philip Jeck lors de son dernier passage à Paris, à l’occasion de l’ouverture du cycle « alterminimalism » au Collège des Bernardins. Un cycle de concerts dédié aux nouvelles formes du minimalisme en musique.


Photo: Mickael Berland (pandemik@dmute.net)



par Mickael B.
le 22/03/2011

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