Avant que la
Gaité Lyrique ne dédie un week-end au mythique
Groupe de Recherche Musical le 12 et 13 novembre prochain, le théâtre
l’Echangeur accueillait à Bagnolet les
Instants Chavirés et son public pour la première édition de
L’Audible Festival. Répartie sur trois jours, du vendredi 21 au dimanche 23 octobre, cette initiative familiale nous proposait de déambuler à travers l’histoire et les tendances les plus diverses des musiques concrètes et électro-acoustiques au gré de conférences, séances d’écoutes, commandes de création et concerts. Comme dirait l’autre, j’ai testé pour vous la journée de samedi.
Traverser la gare routière de Bagnolet, au pied des imposantes et mornes tours Mercuriales, faire quelques pas encore pour enfin franchir les portes de
l’Echangeur. Là on pénètre dans une véritable micro-société, cette étrange famille qui est celle de la musique électroacoustique, où toutes les têtes vous semblent familières. Entre la réalité sociale d’une ville comme Bagnolet, où la misère et la solitude urbaine vous pètent à la gueule dès la sortie du métro, le contraste est saisissant. C’est comme si ce genre d’évènement avait le pouvoir de réactiver les survivances d’anciennes solidarités maintenant disparues. Il est rare (et oui, même en matière de musique) de constater une telle proximité, un lien réel entre les différents membres qui composent un public. On a bien la sensation que la musique concrète ou les musiques électro-acoustiques y parviennent en de telles occasions, indiscutablement. Gageons que la place qu’occupent les
Instants Chavirés depuis bien des années, en sanctuaire de ces musiques innovantes, a quelque chose à voir là dedans.
Bref, le décor posé, le festival débute par des séances d’écoute qui s’enchaînent tout l’après-midi et ce jusqu’en début de soirée, toujours dans une ambiance recueillie, le théâtre plongée dans le noir. En programmateur avisé et passionné,
Jérome Noetinger, entre autre patron du label
Metamkine et personnage éminent des musiques électro-acoustiques, nous introduit aux différentes pièces qu’il a désiré mettre en exergue, et ce, sans baratin superflu. Sa programmation joue sur la diversité, et des pratiques et des contextes de création, enchaînant dans un premier temps pièces historiques (
James Tenney), œuvres sauvées de la poussière (
Bernard Bonnier) et actualités brûlantes (
Valerio Tricolli). L’accent est mis sur la découverte, et l’errance ludique. C’est pourquoi tout le monde sans doute peut y trouver son compte : à la fois les initiés désireux de redécouvrir certains auteurs ou de dénicher la perle rare, et les curieux venus se frotter pour la première fois à ce genre de musique.
Dans un deuxième temps, ces séances d’écoute s’élaborent en grandes thématiques : cinéma pour l’oreille avec des pièces tirées du catalogue
Metamkine, et détournements radiophoniques, pour brosser un tableau foisonnant des pratiques qui traversent depuis toujours ces musiques. Encore une fois, sans sombrer dans le zapping,
Noetinger fait s’entrecroiser l’œuvre de valeurs sûres (
eRikm, omniprésent on le verra lors de ce festival,
Michel Chion) à celles de jeunes auteurs encore méconnus (pièce bluffante de
Martin Chastenet, étudiant de
Lionel Marchetti à Lyon, qu’on promet à un bel avenir). Parmi les œuvres intermédiaires (au sens non-péjoratif du terme) on trouve à faire de magnifiques découvertes : je pense particulièrement à ce morceau du duo
Kristoff K. Roll,
des travailleurs de la nuit au amie des objets, qui mêle des témoignages trouvés d’anarchistes, de sans papiers ou de manifestants pour dessiner une fresque historique étonnante, une vraie poésie sonore des luttes sociales.
Après ces séances d’écoute, il faut le dire, d’une grande densité (il fallait être en forme !), le décorum change. On passe dans une autre salle, plus vaste, pour se retrouver assis, face à une armée de haut-parleurs. On a l’impression d’être devant la maquette d’une ville futuriste avec ses gratte-ciels monolithiques et ses artères lumineuses. Bref, un parfum de
Présences Electroniques flotte dans l’air quand débute cette fois la première prestation live de la journée. Il s’agit là d’un travail de commande réalisé à l’occasion du festival par le barcelonais
Alfredo Costa Monteiro. Notons que ce n’est pas le seul à se coller à l’exercice du travail de commande car
l’Audible Festival a aussi sollicité l’artiste tchèque
Slavek Kwi (
Artificial Memory Trace) et le fameux guitariste italien
Giuseppe Ielasi les vendredi et dimanche. Mais revenons à notre homme :
Costa Monteiro livre pendant près de trois quarts d’heure une pièce immersive et efficace, alternant lents crescendo, magma sonores et decrescendo souvent trompeurs. Le tout au son d’une ambiance tempétueuse et électrique. C’est plutôt réussi même si on y trouve rien de très révolutionnaire.
La suite ne se fait pas attendre. A peine le temps de recouvrer ses esprits et
eRikm fait son apparition derrière la console. C’est un autre personnage important: il réinterprète des pièces du mythique compositeur
Luc Ferrari, et c’est le fil rouge choisi par
l’Audible Festival lors de ces trois jours. Aussi ce n’est pas un choix hasardeux : le français a très bien connu le compositeur de son vivant. Ce samedi soir, c’est au tour des
Presque Rien n°2 et 4, qui comptent parmi les travaux les plus marquants de
Ferarri, d’être revues et corrigées par ses soins. C’est simple, ce sont là deux pièces phares du répertoire électro-acoustiques pourtant, je ne les avais jamais écouté de cette manière, je ne les avais jamais entendu sonner avec autant d’intensité. Je crois qu’
eRikm a su en révéler la face cachée, une face plus sombre, plus amer et parfois même plus orageuse que les apparences le laissent parfois penser. Mention spéciale à la
Presque rien n°2 et à ses errances nocturnes.
Luc Ferrari était parmi nous à ce moment là du set, et nous, à l’intérieur de son étrange rêverie de somnambule.
C’était pour moi le point d’orgue de cet
Audible Festival et j’en suis resté là. La nuit était déjà bien avancée quand je fus obligé de regagner les rues sombres de Bagnolet en direction du métro. Un autre artiste prometteur devait pourtant succéder à
eRikm, en la personne de
Michael Gendreau, un nord-américain qui révèle en live les micro-vibrations qui traversent les structures de nos bâtiments ! A charge de revanche, qui sait, aux Instants chavirés…
Bref, cette journée de samedi a tenu toutes ses promesses. La programmation à la fois audacieuse et ouverte de
l’Audible Festival m’aura permis de découvrir ou redécouvrir des pièces maîtresses comme des œuvres méconnues de ces musiques électro-acoustiques, ces musiques qui décidément, ne cessent de se réinventer et repousser plus loin les limites de l’expérience d’écoute.