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Dour

: Édition 2009



Notre compte rendu

JEUDI

Il est 13h environ quand je débarque à Dour. Des hordes de sac-à-dos et autres tortues aux carapaces vertes Quechua se traînent laborieusement sous le soleil. Je dois rejoindre quelque part dans le camping C des potes qui y sont depuis hier après-midi.

L'ouverture officielle du festival était annoncée pour mercredi, 16h. J'ai du mal à comprendre comment le camping A et B ont pu se remplir aussi vite. Quoiqu'il en soit, on a déjà planté ma tente. Je l'ai confiée au reste de la bande pour ne pas devoir m'installer à l'autre bout du camping. L'essentiel, c'est d'être ensemble. Dans ce genre de festival, croiser des potes dont on a pas vu la trogne hirsute émerger le matin s'avère une mission difficile.

Je découvre mon emplacement. Une dizaine de tentes environ, une tonnelle au milieu. Pour le rejoindre, nous devons traverser un parterre de canettes laissé par nos voisins. Chez nous, on a opté pour le sac poubelle plein à craquer. Au fond, quelle différence ça fait ? Dans trois jours, nous camperons tous dans une immense décharge de bouteilles, de canettes, de cadavres de saladières Saupiquet et de plats préparés Lidl. Dans trois jours, nous accuserons tous nos voisins d'être plus crades que nous, comme pour mieux excuser notre propre fainéantise à l'égard du ramassage des déchets.

Je veux déposer mon sac mais découvre une tente sans fermeture. Ces enfoirés ont monté la toile extérieure dans un sens, et la tente qu'elle abrite dans un autre. Dire que je venais de les remercier pour s'en être occupés. Je me sers une goutte de Rhum, sous les regards hilares. Le premier escadron nous quitte. Je reste ici pour remonter mon abri. Quelques minutes plus tard, je reçois un texto : "Ils confisquent les bouteilles et les bouchons à l'entrée". Quelle merde.



Vers 17h je me décide enfin à bouger. J'ai rempli une bouteille d'eau, et une autre d'un tiers de Pastis. J'ai écrasé la deuxième au maximum, me la suis glissée dans le froc. Je garderai la même technique jusqu'à la fin du festival : attendre d'avoir passé les fouilles pour faire le mélange.

Au milieu du market j'explose. Je peste contre l'interdiction d'entrer de l'alcool cette année, contre la confiscation des bouchons, jetés à terre pour d'obscures raisons. Je vocifère contre ces rangées de boutique, qu'on nous oblige à traverser avant d'arriver dans l'enceinte même du fest. Pour qu'une bande de connards puissent faire leur blé en vendant des djembés aux abrutis qui s'imaginent avoir l'air plus cools avec. "C'est qu'ça marche" me fait remarquer ma copine. Je sais. D'ailleurs, me savoir la cible marketing de ces annonceurs qu'on voit fleurir un peu partout ne me dérange pas plus que ça. On est déjà habitués. Mais quand je viens faire la fête, je déteste me sentir tel un touriste pommé au milieu du royaume des futilités. Me sentir comme une vache à lait dont on essaie de traire jusqu'à la dernière goutte.


© Musicswitch


Nous arrivons au concert d'Amen Ra. Colin van Eeckhout chante torse nu. Il ne semble pas avoir remarqué notre présence. Il passe l'essentiel de son temps à nous tourner le dos. On voit bien que ses musiciens tentent de le lui faire comprendre en se retournant aussi par intermittence, mais il continue de se plier d'avant en arrière, imperturbable, torse nu. Peut-être a-t-il besoin de voir son batteur pour ne pas se plier à côté du rythme. Un peu comme le violoniste classique a besoin de voir son chef d'orchestre battre la mesure pour headbanger. Ça envoie du lourd, mais ce jeu de scène, face à un public clairsemé frappé par les derniers rayons qui traversent encore le chapiteau, donne à Colin le charisme d'une huître.

Nous allons ensuite tendre une oreille du côté de Qemists. Quelques potes foncent devant. Je préfère m'installer devant le chapiteau, profiter de l'herbe qui aura disparue d'ici quelques jours. Qemists excitent leur public, et celui-ci leur rend bien. Mais tout ça manque cruellement d'originalité. De la drum'n'bass qui copule avec le rock pour le côté scénique. Ça sent le déjà-vu. Peu importe. Les gens sont ravis. Ils ont pu échauffer leurs chevilles avant toute la clique du genre qui doit débouler plus tard dans la soirée.

Meshuggah ont rassemblé tous les métalleux du fest, et plus encore. C'est violent, barré, en mesures de 7/8. J'en attendais ni plus ni moins. Nous errons entre les chiottes, les bars, et les pissotières jusqu'au groupe suivant : Isis. Leur concert est carré. Peut-être un peu trop même. J'écouterai la suite sur CD. Ça ne fera pas de grande différence.


© Vinciane Verguethen
Du camping s'élève une longue clameur. Ça gueule de partout ; l'heure de l'apéro. Dour est en pleine montée d'euphorie. Je me laisse transporter par l'enthousiasme collectif en picolant à droite à gauche dans les bouteilles des potes.

Nous revenons pour le set de Dr. Lektroluv. J'ai enfin l'impression de commencer Dour. Le docteur sait y faire, avec ses perpétuelles relances de gimmick qui rendent la foule complètement hystérique. MSTRKRFT prend le relai sans que je ne m'en aperçoive. Mais pour être honnête, je ne m'aperçois de plus grand chose. Je suis juste porté par le son. Le peu d'esprit qui me reste est entièrement voué à faire le lien entre mes tympans et mon corps, à me tirer les zygomatiques vers le haut.


© Emeute Visuelle


Un éclair de lucidité m'envoie droit vers le Dance Hall, là où joue Deadmau5. Je suis toujours plus excité. À tel point qu'après une petite heure de déhanchement abruti, ma copine me tire du chapiteau par le col. J'étais en train de faire le malin devant une autre gonzesse. On s'engueule, c'est sympa. Je suis d'humeur alcoolique connard. On bifurque vers la Magic Tent, toujours en s'engueulant. Je ne veux surtout pas louper N-Type. Les esprits me reviennent progressivement. J'ai un bras accroché à la rambarde, l'autre en l'air. Je me balance énergiquement d'avant en arrière, un peu comme Colin plus tôt dans la journée. J'ai l'air de bien kiffer. Ma copine insiste pour qu'on rentre. Elle a l'air plutôt blasée, donc je m'exécute. Fin de la première journée.

VENDREDI

Je rampe jusqu'à l'entrée de la tente, en panique, persuadé de m'être réveillé trop tard. J'apprends que The Red Chord jouent dans deux heures. Bon, ça me laisse le temps de bouffer un truc. Sur la route qui mène au stand des micro-ondes, ma copine me conte mes exploits de la veille. Il ne m'en reste que de vagues flashs. Heureusement qu'on est à Dour. Je n'aurais pas donné cher de ma peau sinon.
"Mais j'me souviens plus, hésité-je, on a baisé au moins ?
- Deux fois même.
- À la suite ?
- Oui.
"
Je suppose que ça tiendra pour pacte de paix pendant la journée. J'ai lu quelque part que les bonobos faisaient l'amour pour éviter les conflits.

Devant la Last Arena, je critique le boulot des ingés son. On n'entend pas les guitares de The Red Chord. J'ai l'impression d'assister à un duo batterie / chant. C'est limite si je ne sursaute pas chaque fois que la caisse claire claque. Dépité, je rentre au camping... pour ne revenir qu'à Walls of Jericho. Même topo. Les guitares se perdent sous la batterie. Impossible d'apprécier les morceaux autres que ceux que je connais déjà. Candace Kucsulain demande combien de gens ont leur dernier album. Quelques mains se lèvent. Elle enjoint le reste à le télécharger, à le voler, peu importe, parce qu'elle n'en a rien à foutre. Elle est sympa Candace, avec son discours dans l'air du temps. Elle ne nous traite pas de sale voleur, alors on applaudit. Ce n'est pas qu'ils aient manqué d'énergie, les bougres, mais avec ce son, leur prestation fait pâle figure en comparaison d'autres que j'avais déjà vues d'eux.


© Sturmoff


La suite se déroule devant Caravan Palace. C'est gentillet, ça fout de bonne humeur, ça donne envie de sautiller, en se frôlant les uns les autres, avec un arrière goût de vin au fond du palais. Il est clair que Colotis Zoé a décidé d'user de ses charmes. "C'est facile, objecte ma copine, incrédule. Elle a mis un Wonderbra." Il n'empêche que de la voir sans cesse remonter ces deux paquets de chair pour éviter qu'il ne jaillissent de sa robe aiguise ma curiosité. Je m'avance avec un pote. D'autres nous rejoignent. Ils ont une poche de cubi qu'on se vide en la penchant au dessus de nos têtes. L'un d'eux a le t-shirt couvert de tâches de vinasse, ce qui me fait doucement marrer. Colotis lève les jambes, comme au cabaret, tente d'émoustiller ses musiciens, croise les jambes, et se plante une clarinette dans le bec.

Nous piétinons vers Sepultura. Devant la Last Arena retentit la rythmique de Roots. Je crois être arrivé pile poil au bon moment, avant de m'apercevoir qu'ils venaient de clore le morceau. On s'assoie, on écoute, on ragote, on trouve ça un peu chiant, alors on décide de rentrer. Je me rends compte aujourd'hui que j'aurais pu voir Au Revoir Simone, Deerhoof, ou même les Tokyo Ska Paradise qui m'avaient étonnement surpris une autre année. Dour, c'est aussi les regrets, une semaine après, quand on regarde à nouveau la programmation et qu'on se demande ce qu'on a bien pu foutre à tel ou tel moment. On ne peut garder sur quatre jours une vigilance infaillible à l'égard de la programmation.



De retour au camping, j'apprends que deux potes de Paris doivent nous rejoindre d'une minute à l'autre. Je me plante donc devant l'entrée, laissant le reste de la troupe aller voir Dillinger Escape Plan. De toute façon, vu le son qu'ont eu leurs collègues sur la Last Arena, je ne louperai sûrement pas grand chose. Je suis loin de me douter que cette mission me zappera une bonne partie de la soirée. On m'échange le concert de Drop The Lime contre une performance de monté de tente sous la pluie.
"Si on se grouille, on verra peut-être le cul de la chanteuse de Vive la Fête, fais-je dans l'espoir de les presser. Avec son mini-shirt moulant, là."
Rien n'y fait. J'enrage en sirotant leur cubi, mais personne ne le remarque car j'ai l'air cool, comme ça, allongé sous la tonnelle.

Finalement, nous décidons, avec ma copine, de laisser les amis parisiens s'installer seuls. Je suis en mode alcoolique lover. Une partie de moi essaie sûrement de rattraper les conneries de l'autre. Après avoir gratté un peu du dubstep de Rusko, nous nous rendons au concert de Fuck Buttons, dont nous ne voyons finalement pas grand chose à force d'avoir traîné entre le stand tickets et le bar. Deux types l'un en face de l'autre pour une musique sous haute distortion. Richard Devine arrive peu après. Cette fois-ci, je n'en lâche pas une miette. Les sons tombent en cascade. Je suis agréablement ravi par sa prestation. Richard Devine, pour le live, rend sa musique parfaitement dansable, sans sacrifier pour autant cette technique particulière qui fait sa marque de fabrique. Enfin, Bogdan Raczynski, pour constater que le breakcore, ça parle toujours un peu plus aux jambes. Deux bons concerts qui rattrapent cette journée quelque peu merdique.

SAMEDI

À peine sorti de la tente, je suis mis au parfum. Dillinger Escape Plan avaient un meilleur son que les groupes qui les ont précédés ; ils ont même pas mal assuré. J'apprends aussi la mésaventure des collègues parisiens après que nous les ayons quittés la veille. Ils se sont plantés dans la rivière, celle qui traverse le camping.
"Tous les deux ? L'un à la suite de l'autre ?
- Mais ouais,
m'explique le premier. On a voulu prendre un raccourci, mais on n'avait pas vu qu'y'avait un trou. C'est bizarre parce qu'on est tombé progressivement.
- Sale.
- J'peux t'dire qu'après, on a foncé direct à la douche.
- Mais comment vous êtes remontés ? C'est profond quand même !
- En s'accrochant aux orties.
"
Voilà ce qui arrive, à ceux qui ne m'écoutent pas quand j'insiste pour aller voir le cul d'Els Pynoo se dandiner sur la Last Arena.

C'est à All Shall Perish que revient la tâche de me dégourdir les oreilles. Comme je m'y attendais, ça envoie le pâté. À force de balancer des riffs aussi lourds, j'en viens même à craindre les voir sortir chacun une paire de couilles énorme, si énorme qu'ils ne pourraient la ranger au camion sans l'aide d'une brouette. C'est pourquoi j'appelle cette musique du "brouettecore". Je reste pour Comeback Kid. Malheureusement, le son des guitares est crado. Comme pour Walls of Jericho, mon cerveau corrige les défauts à l'aide des versions CD dont je me rappelle. Je reprends les choeurs "You said, You said, You said, lôlôlôlôlôlôlalaaaa. Wake ! Up ! The ! Dead !" Je suis content. J'étais juste venu chanter ce passage.


© Vinciane Verguethen


Sur Jazzanova je me surprends en train de dire : "c'est sympa quand même". Je fais quelques allers-retours au bar, puis rentre au camping. Arrivé un moment, à Dour, ce n'est plus vous qui allez prendre l'apéro ; c'est l'apéro qui vous appelle, comme pour vous éviter de traverser brusquement le portail vers un monde parallèle. Celui par lequel vous êtes arrivé. Celui que vous avez abandonné depuis la première biture et que vous craignez plus que tout de rejoindre sans avoir été prévenu. Suis-je le seul à m'être aperçu qu'on nous a subrepticement ôté un jour ? Par soucis d'économie sans doute. Tout le monde semble s'être persuadé que nous en sommes déjà au troisième jour. Je suis certain que nous n'en sommes qu'au deuxième, même si je ne m'explique pas encore ce tour de passe-passe.

Je vais aux chiottes du camping. Le camion vient de passer. Ça veut dire qu'ils seront clean pour y poser mes petites fesses. Deux agents d'entretien s'activent sur ceux qui viennent d'être vidés. Et nous attendons tous devant, comme des connards, avec nos feuilles de PQ entre les mains. La courageuse en combinaison nous fait un signe de tête. Le départ est lancé. Tout le monde s'avance en essayant d'avoir l'air cool. Nous prenons soin de ne pas paraître pressés, mais allons suffisamment vite pour pouvoir en profiter tant qu'ils sont encore relativement propres.

Plus tard, je débarque sur 65daysofstatic, la panse remplie de Pastis et de couscous Lidl. 65daysofstatic, c'est un peu le groupe que les programmateurs de Dour se targuent, sans vraiment le dire, d'avoir révélés. Du coup, on nous en remet une couche presque chaque année. Chaque fois, le chapiteau est un peu plus rempli. Chaque fois, je prends une claque monstrueuse. Celle-là n'échappe pas à la règle.


© Mathieu Drouet


Kap Bambino m'en met une deuxième sévère. Ils ont compris le truc. Faire l'electro le plus bourrin qui soit. N'en déplaise aux Qemists, rien ne sert de taper des pauses avec une guitare pour rendre sa musique plus rock'n'roll. Un de mes potes m'invite à sentir ses aisselles. Sans réfléchir, je plonge la tête sous son bras. Je crois avoir atteint le fin fond du crétinisme quand je vois sa victime suivante faire de même. Le bureau des objets trouvés doit crouler sous les cerveaux abandonnés.



Ma bouteille est finie en un rien de temps. Ces chiens qui m'accompagnent ont sûrement déjà épuisé leurs provisions d'alcool. Nous décidons de faire un saut express au camping.
"Finalement, j'suis un peu comme Jésus, remarqué-je en me remémorant la crise devant les boutiques du festival. Jésus s'est vénère contre les marchands qui squattaient devant le temple de Dieu. Les gens se sont passés le mot. Ça a fait une religion, des églises, des croisades, et un pape. Peut-être que les gens de Dour se rappelleront de mon geste. Peut-être que je viens de fonder une religion."

En me rendant vers la Dance Hall, je croise un pote que je n'avais pas encore vu depuis le début du festival. Chaque année, il dort sur le parking, dans sa caisse. Comme je disais plus tôt, difficile de se capter si on ne campe pas au même endroit. Je reste un peu avec lui, histoire de marquer le coup, de me souvenir l'avoir vu en rentrant. Il a le programme de dimanche. Quelques rasades de Pastis et une vague tentative de rendez-vous plus tard, je me retrouve devant le show de Luke Slater. Excellent. Je répète à tout le monde que c'est quand même bien, Luke Slater. J'essaie sûrement de me justifier le fait d'avoir traîné tous les potes ici. Mais je pense qu'ils apprécient tout autant que moi. Popof prend le relai. Pas mal aussi, mais l'ambiance descend d'un cran. Sur Matzak elle tombe clairement à nos chevilles. Alors nous rentrons au camping. Fin du deuxième jour. Du troisième pour ceux qui se sont laissés embobinés par le subterfuge de Dour.

DIMANCHE

Il fallait bien que ça arrive. Jusque là, je m'en étais plutôt bien sorti. Mais le réveil du dimanche m'est insupportable. Ma copine veut qu'on prenne une douche.
"Tu pues, insiste-t-elle."
Hier, il y avait une queue à n'en plus finir devant les douches. Je me rappelle lui avoir promis en prendre une aujourd'hui, avec elle.
"Ça sert à rien de gaspiller des tickets boisson pour avoir une douche froide, hasardé-je. J'ferai comme Christophe : j'me verserai un bidon de flotte sur la tronche."
En vérité, je ne me sens plus la force de soulever le bidon. Tout juste de quoi me hisser lamentablement en dehors de la tente.
"Très bien. J'y vais toute seule, se résigne-t-elle. T'as qu'à aller faire chauffer les plats pendant ce temps là."

Je savoure ma maigre victoire en me servant un Pastis. La redescente me guète ; elle risque d'être violente si je ne fais pas tout pour l'éviter. J'arrive à taxer un Nobullshit, le journal officiel de Dour. "Tu vas voir, c'est marrant, m'assure-t-on. Les groupes se font traiter à mort." Dans un élan de suffisance, le journaliste de Nobullshit a écrit que le concert de Kap Bambino était rempli d'adolescents. Je vois difficilement comment un concert de Dour peut-il ne pas être rempli d'adolescents. En tout cas, personne ne parle de la religion que j'ai fondée hier. Je décide donc de zoner dans le camping. Non, de porter les plats aux micro-ondes.


© Romain Mader


Là-bas, un type tient une petite animation. Il faut tourner une roue pour gagner des trucs à la con. D'ordinaire, ces types-là croient dur comme fer dans leur jeu. Celui-là, pas une seconde.
"Hé c'est moi, lâche-t-il dans le micro. Je vais encore vous casser les oreilles."
C'est tout juste s'il ne s'excuse pas d'exister.
"C'est un 2, un 4, un 5, reprend-il. C'est un 2 ! Tu as gagné... Tu as gagné un t-shirt. Et un stylo !"
Je crois qu'il parle au mec torse nu qui titube devant. Ce dernier pousse un cri de joie, lève les bras, et vacille de côté.
"T'es content, hein ? fait l'animateur."

La journée débute avec An Albatross. Edward B. Gieda III me fait vaguement penser à Iggy Pop. Il est maigrichon, porte les cheveux long, et chante torse nu. Je sens la fatigue me gagner. Nous avons épuisé la dernière goutte de Pastis tout à l'heure. La soirée va être rude. On me propose un joint. "J'ai mis un peu de coke dedans. Tu vas voir, ça va te réveiller." Je ne savais même pas que ça se fumait, de la coke. Peu après avoir tiré quelques lattes, je sens mes petits yeux s'écarquiller.
"C'est marrant, dis-je à ma copine, j'ai l'impression qu'on me force à ouvrir grand les yeux.
- Moi ça m'a rien fait.
- C'est peut-être parce que t'as l'habitude de fumer.
"
De mes grands yeux écarquillés je regarde la marionnette d'Iggy Pop grimper sur la batterie.

La troupe bifurque ensuite vers Antony B.
"Nan, pas Antony B, supplié-je le meneur, tu vas voir, c'est nul à chier."
Rien à faire. Ils y vont tous. Je retrouve le terroriste des aisselles assis dans l'herbe. Sa tête a fondu. Il est en pleine descente, lui aussi.
"Y te reste de l'alcool ?"
J'ai l'impression qu'il va pleurer quand je lui réponds que non. Je tiens une dizaine de minutes, puis décide de partir, entraînant ma copine derrière moi. Sur la route nous croisons tous ceux qui se rendent au concert. Certains ont des chapeaux aux couleurs du reggae. D'autres agitent des drapeaux. Je me sens comme un faux cool au milieu de gens cools.

Premières frites de Dour. Elles sont servies dans un cornet, sous une énorme couche de sauce Andalouse. Ils ne donnent ni fourchette, ni serviette, si bien qu'on ne peut les avaler sans faire le gros porc. Au loin, j'entends le frontman de Naïve New Beaters essayer de parler en français à son public. Il s'en tire plutôt bien. Je suis en pleine descente, mais c'est moins violent que je ne l'aurais cru. Premier tour du côté de la Relax Zone ; le seul endroit où on peut trouver de la Leffe 9. Ça ne sera pas suffisant pour maintenir le niveau, mais c'est malheureusement ce qu'on peut trouver de plus fort dans l'enceinte du festival. À quatre tickets le verre (dont deux de caution), ça revient cher la cuite.

Sur le chemin qui mène vers la Magic Tent, je suis pris d'une furieuse envie de chier. Je vais aux toilettes du festival. Je tire sur un des rouleaux, à l'entrée, et tente de trouver un cabinet qui n'a pas trop morflé. Je dépose précautionneusement quelques feuilles de PQ sur le pourtour de la cuvette. Les basses de la dance hall font vibrer les murs du cabinet. Ça m'amuse quelques secondes, jusqu'à ce que je m'aperçoive n'avoir gardé qu'un petit paquet de feuilles pour me torcher. Le reste, je l'ai déposé sur la cuvette. Ça passera peut-être avec un étron bien sec. Manque de bol, une crotte d'après soirée. De ce genre d'étron mou à souhait qui vous réchauffe l'anus avant de s'écraser dans la cuvette. Je m'essuie comme je peux. De deux choses l'une. Ou je loupe Crystal Castles. Ou je ne sers la main de personne et évite de me gratter le cul pendant une bonne heure. Ma copine m'attend dehors. J'opte pour la première solution. "Faut qu'j'aille aux toilettes du camping, lui lancé-je. J't'expliquerai sur la route." Je trace aussi vite que possible vers le camping A, finis le boulot, me lave les mains à m'en arracher la peau, et repars aussitôt vers la Magic Tent. Je n'ose imaginer ce que j'aurais fait sans pass camping. Il n'y a aucun point d'eau à l'intérieur du festival. Finalement j'arrive à la moitié du set de Crystal Castles. Je suis déçu. Je ne suis pas fan de Crystal Castles, mais les concerts déposés sur Youtube donnaient envie. Là, c'est juste moyen.


© Vinciane Verguethen


Nous nous rendons à 5 elements of Hip Hop, où sont censés se succéder aux platines MixMaster Mike, DJ Muggs, DJ JS-1. Le public est survolté. Les mixs tapent large, de l'incontournable Jump Around, d'House of Pain, aux Jackson Five, hommage un tantinet prévisible, en passant par Rage Against The Machine, Nirvana, et tous ces tubes qui marchent à coup sûr. Le tout entrecoupé de démonstrations de scratch. Ma copine est contente. Elle peut enfin danser en terrain connu. C'est pas très aventureux, tout ça, mais comme c'est foutrement bien mixé, je leur pardonne. Et je danse aussi.

Vient le moment tant attendu. Aphex Twin + Hecker. Le public bouillonne devant la scène. Aux premiers sons, des bras se lèvent. Les bras de spectateurs qui s'attendaient sûrement à une explosion dancefloresque. Mais il ne se passe pas grand chose. Les bras retombent. Quelques minutes plus tard, les plus sceptiques grognent. Un "c'est nul !" est lâché près de moi. "Ça pourrait être bien si y'avait pas ce concert derrière qui gâche le son, remarqué-je pour moi-même." Un sifflement jaillit derrière moi, passe à ma gauche. L'espace d'une seconde j'ai cru que quelqu'un avait lancé une fusée vers la scène. Je comprends alors ma méprise. Le son, derrière, c'est le son du concert d'Aphex Twin. Le concert est mixé en 5.1. Je jette un œil par dessus mon épaule, histoire de montrer que j'avais bien compris. Il n'empêche que d'intégrer cet espace sonore est plutôt déroutant. Le rythme grimpe, la sauce monte. Aux premières minutes balbutiantes du show succède un set qui met tout le monde d'accord. Les images diffusées à l'écran sont d'un psychédélisme flippant, bien Aphex Twinien. J'ai parfaitement intégré la donne 5.1 quand le protégé de Warp balance Come to Daddy, avant de le massacrer complètement. "C'est bien pour vous faire plaisir, mais c'est moi qui fixe les règles ici." Le spectacle s'achève quelques minutes plus tard.


© Vinciane Verguethen


Le concert de Tim Exile n'est pas en 5.1. C'est scandaleux. Ma copine m'accroche à un poteau ; elle doit aller aux toilettes. Je repense à ce punk, que j'avais trouvé une autre année abandonné, complètement défoncé, menotté à un réverbère du camping. Celui qui avait fait ça était parti avec les clés. Heureusement, je m'en tire mieux que lui. Ma copine revient, et j'en profite pour tenter une percée au bar. De tout Dour, je n'ai jamais vu une foule pareille amassée devant. Je ne suis sûrement pas le seul à avoir épuisé mes provisions d'alcool. Une petite gonzesse aux cheveux frisés tend son gobelet le plus loin possible devant elle : "ma bièèèèèèère ! Je veux ma bièèèèère." Pendant ce temps là, Tim Exile alterne breakcore et les passages plus pop de son dernier album. Quand j'arrive enfin à m'extirper du bar, deux saintes bières à la main, le set est pratiquement fini. Plus qu'à attendre Venetian Snares.

Nous retrouvons un pote en train de marteler le poteau du chapiteau. Chaque fois qu'il envoie des coups, d'autres répondent en écho. Quelques uns essaient de lancer à leur tour une séance de percussion. Personne ne suit. Seul mon pote, avec sa carrure impressionnante, tape suffisamment fort pour entraîner le reste du chapiteau.



Et puis Venetian Snares décide de s'en mêler : quelques secondes d'explosion breakcore. Simple coïncidence ; il fait les balances. "Retente un coup pour voir ?" À la nouvelle rafale de coups lancée par l'ami bucheron, Venetian Snares répond à nouveau. Un vrai dialogue est né entre mon pote et Venetian Snares, entre le poteau du chapiteau et la musique du canadien. Puis le concert démarre. Une heure durant, ce ne sera qu'une longue montée vers toujours plus de brutalité. Chaque fois je crois qu'il est impossible d'aller plus loin. Chaque fois Venetian en rajoute une couche. Jusqu'à atteindre le paroxysme de la violence. Une chouette apocalypse, pour terminer Dour comme il se doit. Sur les rotules.

Par Tehanor
le 27/07/2009





On va à Dour pour se rencontrer et aimer ensemble la musique.

Comme toujours, les organisateurs ne dérogent pas à la règle qui fait le succès du festival (200 groupes, 4 jours et 6 scènes – de midi à 5h). Peu de festivals de cette envergure peuvent se vanter de présenter autant de styles musicaux différents à quelques 140000 festivaliers venus eux aussi de tout horizon. Retour sur cette 21ième édition.

JEUDI

Nous arrivons en fin de matinée, et nous pouvons apprécier la qualité des réaménagements apportés par rapport à l’an dernier, qui permet une meilleure fluidité dans les entrées des festivaliers et un accès plus facile au camping. Même en arrivant relativement tôt, nous campons au camping C, soit à l'opposé du site.

Il est un peu plus de 17h quand nous décidons d’aller sur le site du festival. On évite les nombreux stands installés à l’entrée. Rien d’alléchant pour le moment, mais nous prenons le temps d’étudier la programmation et de boire quelques verres. Nous errons sur les différentes scènes jusqu’au moment où arrive Ghislain Poirier accompagné d’un certain Mc Zulu à la Magic Tent. Ça bounce à mort, son set est très efficace et son compère chauffe la salle.


© Vinciane Verguethen


Un ami me conseille de rester pour Daniel Haaksman. Je préfère me défouler au Club-circuit Marquée devant Dr. Lektroluv et même si sa playlist ne présente rien d’original, il saura électrifier la foule. Retour à la case départ. Difficile à croire que le créateur de Man Recordings est berlinois tant son set aux mélanges house et funk est influencé par les musiques brésiliennes. Il est temps de se désaltérer à nouveau avant de retrouver Deadmau5 au Dancehall, vêtu (comme à son habitude) de son masque de souris. La quantité d’alcool ingurgité me laisse de vagues souvenirs, mais m’a paru de bonne augure. Nous finissons la soirée en beauté avec N-Type. Le londonien semble très enthousiaste de jouer ce soir en mixant de nombreuses dubplates et quelques hits de la scène dubstep. Il n’hésite pas à présenter les vinyles, bras en l’air, au public conquis par sa prestation.

VENDREDI

La nuit aura été très courte mais nous sommes sur le site vers 13h pour se rassasier et déjà quelques personnes assistent à un concert hardcore devant la Last Arena. Après une longue sieste devant la Petite Maison dans la Prairie et peu de découvertes intéressantes, nous arrivons devant Au Revoir Simone. Leur concert est aussi rayonnant que cette journée. Pause bière (encore ?!) avant le début du marathon. Deerhoof et son indie-rock complexe, nous a complètement séduit.. Vient ensuite Dillinger Escape Plan sur la Last Arena. Dès les premières secondes, le groupe saute dans tous les sens sans hésiter à se percher sur les enceintes. Leur mathcore est toujours aussi intègre.


© Romain Mader


De retour au Club-circuit Marquée, j’ai enfin eu le plaisir de découvrir... And You Will Know Us by the Trail of Dead sur scène. Malgré la médiocrité des derniers albums, ils restent un bon groupe. L-Vis 1990, nouvelle signature de Mad Decent et donc sous l’influence de ce que peut présenter le label, commence déjà à remuer le dancefloor. Mais nous attendons de pied ferme Animal Collective qui donne une très belle prestation malgré la mauvaise qualité sonore (à mon goût). Nous continuons notre soirée en compagnie de Rusko puis Diplo. Je ne pensais pas voir autant de monde dans la Magic Tent. Le public est conquis par le producteur du moment. Le (mauvais) dj set de Digitalism nous fera patienter jusqu’à l’arrivée de Richard Devine. Il devient difficile pour moi de rester devant Bogdan Raczynski qui présente pourtant un breakcore de haute qualité, avoisinant les 200 bpm. Nous préférons donc finir la soirée au camping.

Cette année, je n’ai pas eu la chance de continuer l’aventure plus longtemps. Je quitte le site avec une certaine frustration vu la qualité de la programmation des jours à suivre. Mais, on a déjà pris note, sur nos agendas pour la prochaine édition.

Par Mixo
le 30/07/2009







par Tehanor
le 27/07/2009

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Daudi Matsiko - The King Of Misery
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