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La Bâtie

: Édition 2005



Notre compte rendu

Créé en 1977, le Festival de la Bâtie clôture chaque année magistralement la saison festivalière suisse, présentant un programme relevé mêlant danse, théâtre et musique. Une programmation musicale qui repose sur les épaules du Genevois Eric Linder, lui-même musicien sous le pseudonyme de Polar. Les récentes éditions ont vu défiler nombre d'invités prestigieux, tels Sonic Youth et Alain Bashung en 2004, Yann Tiersen en 2001 ou encore Nick Cave en 1999. Mais plus que des noms célèbres, la Bâtie est surtout l'occasion de découvrir sur scène des artistes innovants et captivants, issus aussi bien de la scène rock, folk ou électronique. Ainsi, parmi la multitude de musiciens programmés, on peut citer en vrac les noms de Fennesz, Pan Sonic, The Notwist, Calexico, Erik Truffaz, The Divine Comedy ou dEUS.
Cette année encore, malgré l'absence d'une véritable tête d'affiche, le programme proposé est alléchant, alignant electro (Jamie Lidell, Matmos, Fennesz), rock (Andrew Bird, Pedro the Lion, Lambchop) et musique contemporaine (Sylvain Chauveau, Ikue Mori, Zeena Parkins). Une impressionnante succession de concerts en une dizaine de jours, qui oblige à faire des choix, selon son emploi du temps et ses coups de cœur personnels.

Petit compte-rendu de quelques soirées du festival :


Jamie Lidell - Casino Théâtre, 01.09.05

C'est à Jamie Lidell qu'appartient la lourde tâche d'ouvrir les feux pour la section musicale de cette Bâtie 2005. Et c'est le magnifique Casino Théâtre qui sert de décor à ce crooner électronicien, auteur d'un des albums les plus remarqués de cette année. Une petite salle de théâtre au fauteuils recouverts de velours rouge, aux balcons sculptés à l'ancienne, entre kitsch assumé et intimité.
Jamie Lidell fait son entrée, revêtu d'une veste tombante dorée, accompagné de son caméraman personnel, sorte de Robin fauché pour accompagné le super héros. Lidell lance la musique et s'empare du micro, pour un premier exercice soul en guise d'apéro. Entre l'accoutrement et la prestation du personnage, on se croirait dans un reportage de l'émission belge Strip-Tease, consacrée à l'un de ces chanteurs de karaoké un peu à l'ouest, écumeur de bars de nuit. La sauce prend pourtant, grâce aux talents d'interprète de Lidell. Après ce numéro de crooner, passage derrière son attirail électronique (labtop, sampler, synthé, etc.) pour créer une texture entre electro déstructurée et human beat-box. Une création spontanée jouissive qui rebondit dans tous les sens à la manière d'une balle élastique. Et Jamie Lidell s'empare à nouveau du micro pour entonner l'imparable The city, dans une version toute retournée. La suite du concert confirmera cette tendance, alternant à merveille crooner second degré (comme un Al Green déjanté) et explosions électroniques, à grand renfort de beats concassés, d'infrabasses écrasantes et de bip-bip de toutes sortes. En arrière-plan, des projections " live " mélangent l'image d'un Lidell sautillant aux buildings, cartoons et autres symboles étranges, pour une alchimie quasi-parfaite entre la musique et l'image.
Après un peu plus d'une heure de concert et un dernier morceau évoquant un hymne big-beat passé au mixer, Jamie Lidell quitte la scène, provoquant une standing ovation dans les premiers rangs. Pas avare, il revient pour un rappel unique, aux allures de standards soul, qui se conclura dans un final presque gospel où les boucles de voix superposées se mêleront aux images d'un Lidell démultiplié sur l'écran, formant un chœur à lui tout seul. Nouvelle standing ovation, de la salle entière cette fois, qui durera bien cinq minutes, sans retour possible. Chacun rejoindra le bar alors, certains se pinçant le nez ou s'emparant de verres de bière vides pour devenir à leur tour une human beat-box débridée. Une émulation inévitable après ce show parfait, durant lequel Lidell aura su confronté ses talents vocaux et musicaux à un art de l'entertainment inimitable.

Soirée songwriters - Casino Théâtre, 04.09.05

Le festival bat son plein maintenant, entre danse, théâtre et musique. Sur la scène du Casino Théâtre se sont succédés Mugison, Matmos et Lambchop. Pour cette soirée du dimanche, c'est une affiche inédite qui est offerte, dans un style entre songwriting et country. Trois chanteurs américains, seuls avec leur guitare pour trois approches différentes cd l'exercice scénique.
Le premier à fouler la scène est Josh Pearson, leader des disparus Lift to Experience, dont le premier album reste encore aujourd'hui un modèle de rock puissant et habité. Mais c'est muni de sa seule guitare acoustique que Pearson se présente. Le visage mangé par une barbe en bataille - à faire passer celle de Will Oldham pour quelques poils adolescents - et l'œil vide laissent deviner que les dernières années écoulées ne l'ont pas laissé indemne. "Bonsoir, je suis Josh Pearson. Je viens du Texas. Et je n'aime pas George Bush." lance-t-il à la salle, avant d'enfiler son chapeau de cow-boy et d'entamer son premier morceau. Une simple guitare sèche et un ampli, mais pourtant c'en est une déflagration, un mur du son qui prouve que le bonhomme n'a pas perdu la main depuis Lift to Experience. A cela s'ajoute cette voix si incongrue à travers ce physique d'ours défraîchi, rappelant Jeff Buckley par moments. Après quelques chansons, Josh Pearson s'excuse. Il n'est pas encore très à son aise avec son nouveau répertoire. Malgré cet aveu et l'apparence brouillonne du set, quelque chose passe, un soupçon de rage et de désespoir, en un mot le blues. L'homme a l'air si lessivé, si résigné, s'accroche pourtant, plaçant ici ou là quelques pointes de cynisme ou d'humour décalé (une improbable reprise de l'hymne des Restos du Cœur, repêchée de Dieu sait où). Un spectateur lui demande These are the days, l'un des titres phares de son ancien groupe, mais Pearson ne peut que lui répondre " Those were the days " et le remercier de s'en souvenir. Quelques morceaux encore, qui parlent du bien et du mal, du diable, précédés fréquemment d'un signe de croix comme rampe de lancement (" One-two-three-four, Jesus helps me ! "), une dernière blague à tiroir et le Texan quitte la scène à pas lents dans ses santiags bien cirées. Des brouillons de chansons pour ce clochard céleste tombé dans le caniveau, qui laissent augurer de bonnes nouvelles pour bientôt.
L'Ouest lointain à nouveau ensuite, avec Mark Eitzel, lui aussi leader d'un groupe défunt, American Music Club. Mais contrairement à Josh Pearson, ses chansons sont moins brouillonnes, plus aguerries à l'univers de la scène. Pourtant, la magie ne prend pas, comme un défaut de grâce dans cette musique, où la country tire vers la pop, pour se perdre parfois entre trop d'évidence et peu d'amplitude. Ouest terne. L'occasion pour certains quitter la fournaise de la salle pour rejoindre le bar équipé de ventilateurs.
Pour clore la soirée, c'est l'Amérique urbaine (Chicago) qui s'invite avec Andrew Bird, muni de sa guitare et de son violon, mais orphelin de son batteur, habituel dans sa configuration live. Son apparence frêle et fragile, trop long et trop maigre, contraste avec l'hirsute Pearson et le camionneur Eitzel. A ses pieds, une impressionnante collection de pédales de sample, rappelant l'équipement d'autres grands solitaires de la scène comme Joseph Arthur et Dominique A. Un attirail qui met d'emblée en évidence la volonté de Bird de ne pas décalquer ses albums en concert, mais de les transformer, de les réinvestir en tous sens. Ainsi, chaque chanson se bâtit une nouvelle garde de robe, faite de pizzicatti de violon, de nappes légères de guitare, de petites touches de xylophone ou, plus dénudée, des sifflements d'Andrew Bird. Une maîtrise technique qui ne délaisse pourtant pas le petit supplément d'âme que contient cette musique, naviguant à la frontière des territoires folk et pop. Cerise sur le gâteau, la voix magique de Bird, qui envoûte, berce l'auditeur sur un mode tout en subtilité. Un peu plus d'une heure de concert véritablement magique, où il donne tout ce qu'il a en lui, apparaissant exténué au moment des adieux. Mais devant les applaudissements de la salle, il offre un ultime morceau, le sublime Masterfade, recommencé pour un problème de rythme presque indécelable (démonstration de son soucis de la précision), avant de prendre congé définitivement, refermant à merveille cette soirée de solistes voyageurs.

Gonzales, solo piano - Casino Théâtre 05.09.05

Tout a été dit et écrit sur le projet pianistique de Gonzales. La critique et le public, conquis, parlent de post-modernisme pour qualifier ces morceaux patchwork, mêlant influences classiques (Satie, Ravel), jazz et folklore, ainsi que les poses décalées du personnage, entre le pianiste de cabaret et un Richard Clayderman soudain doté de second degré. Pourtant, certains n'hésitent pas à pourfendre ce pianiste du dimanche, assimilant son orientation nouvelle à une belle arnaque. Le débat fait rage. Mais peut-être est-ce se poser les mauvaises questions. Gonzales n'est ni un pilleur mal intentionné, ni un génie post-moderne. Non, il est avant tout Gonzo ! Un personnage, tour à tour roi de la pop et prince du clavier, fidèle à lui-même sur la scène, revêtant à chaque fois le costume de l'entertainer.
C'est une salle comble qui accueille Gonzales pour ce concert parmi les plus attendus du festival. Sur scène, un piano des plus simples, son tabouret et, suspendu au-dessus, un long écran rectangulaire, vierge encore de toute image. Gonzo fait son entrée et débute avec quelques pièces tirées de son dernier album. Sur l'écran, un plan fixe en noir et blanc présente ses mains sur le clavier. Une ouverture presque solennelle, dans un silence parfait de l'auditoire. Mais sur Paristocrats voilà qu'une main disparaît un instant de l'écran, pour réapparaître ensuite, parée d'une grossière bague de pacotille. Premiers rires dans l'assistance. Un effet burlesque léger, qui rompt avec le sérieux de ces premières minutes. S'exprimant en français - il vit aujourd'hui à Paris - Gonzales s'adresse alors au public, présentant brièvement son apprentissage du piano et sa haine des accords majeurs. S'en suit une démonstration ludique du binôme majeur/mineur, où il tresse un meddley de morceaux populaires (Happy birthday, Frère Jacques, Over the rainbow) repris en jazz et sur un mode mineur. Eclats de rires plus francs cette fois dans le public. Non content de sa démonstration, Gonzales invite le public à reprendre en chœur une courte mélodie de quatre mesures, sur laquelle il se laisse à aller dans un numéro de piano bar jouissif. Cette fois-ci, l'univers feutré du concerto solo est tout à fait balayé, relayé par un one-man-show bien huilé, entre la leçon de piano et le blind-test géant. Gonzo enchaîne les numéros gaguesques (la palme à celui qui voit toutes les lumières s'éteindre et un projecteur irradié une spectatrice choisie au hasard, et ce pour toute la durée du morceau). Entre ces sketschs à répétitions, quelques morceaux personnels tout de même, jusqu'à une reprise totalement folle du tubesque Take me to Broadway, réminiscence du Gonzales des jours passés. En guise de rappel - sous un tonnerre d'applaudissements - Gonzo propose de rapidement jouer un petit résumé du concert, pour les hypothétiques retardataires. En 3 minutes, on refait le match ! Pièces sérieuses, meddley majeur/mineur, public chanteur, le coup du projecteur, Take me to Broadway, le tout agrémenté de multiples mimiques, rien ne manque. Merveilleuse invention que ce rappel, qui sera encore suivi d'un meddley pop FM, enchaînant l'un des thèmes de Flashdance aux tubes de Queen et des Bee Gees, pour le bonheur d'un public hilare et sifflotant.
Au final, Gonzales aura offert un spectacle réussi et original. Certes, son cocktail pop/jazz n'arrive pas à la cheville des escapades de Brad Mehldau (reprenant Radiohead et Nick Drake) ou de Keith Jarrett (Over the rainbow sur La Scala) et sa propension à démystifier la musique classique fait sourire, si l'on repense aux travaux de John Cage ou de George Maciunas (et son piano joué à coups de marteau). Mais Gonzales se prétend-il vraiment aussi pertinent et innovant, ou n'est-ce pas une certaine critique qui lui a cousu ce costume trop grand pour lui ? L'important ici c'est le show et il fut à la hauteur espérée, à faire taper du pied et à décrisper les zygomatiques.

Carte blanche à Sylvain Chauveau - Salle des Eaux-Vives, 06.09.05

L'un des atouts majeurs de la partie musicale du festival de la Bâtie a toujours été les spectacles créés spécialement pour l'événements. On peut citer en vrac la rencontre entre Christian Fennesz et Sparklehorse en 2003, la prise de possession des orgues de la cathédrale par le même Fennesz l'année suivante ou encore la confrontation de la musique de Pan Sonic et de l'architecture du Pont-Butin en 2004. Pour cette édition 2005, ces créations étaient un peu plus rares et c'est donc avec une impatience à peine cachée qu'était attendue la carte blanche offerte à Sylvain Chauveau. Au programme : un spectacle de danse, un concert de l'Ensemble Nocturne de Chauveau et une performance du mystérieux Ensemble 0.
Un carré noir zébré de bandes lumineuses sur lesquelles est étendu le corps d'un homme vêtu de blanc. C'est sur cette première image que s'ouvre Erection, chorégraphie pour un danseur interprétée par Pierre Rigal et mise en scène par Aurélien Bory, sur une musique de Sylvain Chauveau. Toujours collé contre le sol, le corps se met en mouvements et les bandes s'épaississent, jusqu'à dévorer l'ensemble de l'espace. La question du passage de la position horizontale à la position verticale, telle est le cœur d'Erection. Cet étrange ballet avance au rythme des distorsions du corps, auxquelles répondent les jeux de lumières et les sonorités électroniques de Chauveau. A mesure que le corps s'érige, la musique se fait plus présente, s'incarnant en un leitmotiv instrumental explosif, à la frontière du post-rock. Une première création minimaliste et poétique, nourrie d'instants de tensions, amplifiés encore par les notes et les boucles de la musique.
Pour la seconde partie, le programme parle d'une performance de l'Ensemble 0. La brève présentation qui précède ce concert permet d'en apprendre plus. Il s'agit d'un concert d'une trentaine de minutes, durant lesquelles Sylvain Chauveau et trois autres musiciens interprèteront diverses œuvres du répertoire contemporain. Au vol, on saisit quelques noms : Satie, Cage et celui moins célèbre de Joël Merah, l'un des membres de l'ensemble 0. Le concert qui suit offre un bon résumé de près d'un siècle de musique contemporaine. De la mélodie minimale et répétitive de Satie jusqu'aux extrêmes incarnées par les 4'33'' de John Cage (quatre minutes et trente-trois secondes de silence, dans une " interprétation libre " ici, qui se traduit par l'extinction de toutes les lumières de la salle), en passant par des morceaux alternant silence et notes brèves des instrumentistes. Une prestation abrupte certes, mais qui a le mérite de donner à entendre la diversité et les similitudes qui cohabitent dans ces univers musicaux et, surtout, qui offre aux yeux le spectacle des musiciens en action sur ces morceaux.
Après cette incursion dans l'univers de la musique contemporaine arrive enfin l'heure des compositions de Sylvain Chauveau. Musicien autodidacte, qui compose et joue à l'oreille, le Français travaille sur une musique dévouée au silence et à l'économie de notes, dans le but de créer les plus beaux morceaux possibles. En solo ou entouré des quatre musiciens de son Ensemble Nocturne, il propose un voyage dans son répertoire, résumé en musique de près de dix années de travail. Après un premier morceau au piano, qui permet de saisir tout à fait la particularité autodidacte de Chauveau, tant dans ses compositions que dans sa manière de jouer, il est rejoint sur scène par le clarinettiste Aurélien Besnard pour un duo qui joue autant sur la musique que sur les sonorités propres à chaque instrument. L'une des multiples particularités du travail de Chauveau. Lorsqu'il s'empare de la guitare électrique pour un morceau en solo construit sur des boucles samplées successives, il prend soin de braquer son micro sur ses pédales d'effet, afin d'ajouter les cliquetis de programmation à la texture sonore. Le reste du groupe - violoncelle, alto, piano - rejoint ensuite Chauveau pour une seconde partie plus mélodique encore. Sur les trois derniers titres, l'Ensemble Nocturne quitte le monde de la musique instrumentale pour un avant-goût de leur album à venir. Trois reprises de chansons de Depeche Mode, réorchestrées et portées magistralement par la voix de Chauveau. Dans la lignée des travaux d'un Mark Hollis, où la new-wave synthétique se transforme en une pop acoustique organique.


Au final le plateau musical de cette édition 2005 du Festival de la Bâtie aura tenu toutes ses promesses, offrant à la fois des affiches de choix (le trio Bird-Eitzel-Pearson ou la carte blanche à Sylvain Chauveau) et l'occasion aux artistes les plus attendus de confirmer les qualités entendues sur disque, tout en les réinventant sur la scène (Lidell, Bird et Gonzales). Une occasion unique encore de découvrir ces différents artistes dans un cadre rêvé - la palme au superbe Casino Théâtre - mêlant acoustique de qualité et intimité de luxe. Une date à noter dans son agenda que ces premiers jours de septembre qu'embrasse le Festival.

par Christophe
le 23/09/2005

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