La musique rock a beau paraître sombrer dans la redite, certaines expériences assez originales permettent d'apprécier ses influences, au-delà même de ses frontières.
Le 30 janvier 2007, la Sala Rossa, Montréal, a vibré d'une expérience qui a rassemblé en une famille les meilleurs musiciens actuels de Montréal et des environs, et cela sous la houlette d'un compositeur New-Yorkais de la lignée de John Cage et du "Kitchen" ("école" minimaliste fondée dans les années 70), Rhys Chatham, qui a rompu le préjugé selon lequel la musique contemporaine serait par trop ésotérique...
Tout a commencé en 77, quand Rhys Chatham a présenté à New York une composition intitulée Guitar Trio, qui pour la première fois conciliait les recherches minimalistes - étude du son "pur" et de sa polyphonie implicite causée par les harmoniques - avec une instrumentation rock : guitares, basse, batterie. Citation amusante du créateur à ce propos : "Les Ramones sont parvenus à faire des morceaux avec trois accords, moi je tente d'en faire un avec seulement un accord (mi mineur)". Et Guitar Trio, interprétée à 3 puis 6 puis 100 puis 400 guitares à Paris en 2005, a pendant 30 ans surpris mais surtout séduit autant le public habitué de musique expérimentale que les néophytes de tous horizons.
En ces mois de Janvier/Février, Rhys a chercher à fêter en beauté le 30ième anniversaire de son expérience électrisante, en se proposant une titanesque tournée à travers l'Amérique du Nord, accompagné de David Daniell (un de ses collaborateurs guitaristes pour son projet "HM Essentialist", qui explore l'essence du Heavy Metal !). Cette tournée consiste à s'arrêter dans diverses villes, demander la collaboration des meilleurs artistes guitaristes de la ville en question, et de leur apprendre en deux heures ce morceau, afin de leur offrir de jouer sur scène cette pièce de maître - qui est pourtant si simple.
Et cette histoire m'amène à conter l'expérience particulière du 30 janvier 2007, à Montréal, la Sala Rossa, haut-lieu des musiques actuelles au Québec. La salle était comble. Le monde s'attendait à quelque chose d'étrange, mais enthousiasmant : la presse s'était emparée de l'événement avec voracité. Sur scène, Rhys, David Daniell, arrivés tout droit de Boston, ainsi que les musiciens canadiens : David Bryant, Oliver, Efrim, Thierry Amar à la basse (GY!BE, ASMZ), Harris Newman (Triple Burner), Jonathan Cummins (Doughboys, Bionic, Besnard Lakes), Matt Rogalsky, Barry G. Thomas (Blue bird), David Payant (Quartetski Does Prokofiev) aux drums, Chris Burns et LoU.
C'était la première fois que tous ces musiciens étaient réunis sur la même scène. Le public reçut un mur de son à l'intensité à la fois extrêmement épurée (puisque le morceau est construit sur un accord unique) et extraordinairement ouvert : en effet, l'écoute de Guitar Trio, outre son caractère intense, tribal, cathartique, implique également d'entendre une telle pluralité d'harmoniques, que se crée dans le cerveau de chaque auditeur une musique différente, issue de la diversité de sensibilité de chacun aux différentes harmoniques... Deux fois 20 minutes d'électricité pure, sous le coup de l'ingéniosité torrentielle du batteur David Payant ; deux fois 20 minutes de relation orgiaque avec le son, dans une démarche d'une originalité que la Sala Rossa était capable d'accueillir avec tout l'enthousiasme possible. Laissant le public possédé par une surprise et un enthousiasme contagieux et dépassant tous les goûts et les générations, Rhys allait continuer son chemin audacieux vers Toronto, et jeter par un malicieux hommage au punk-rock tous les préjugés sur la musique dans une expérience mobilisant une sensibilité étonnée d'elle-même au SON pur et à sa richesse.
Quelques liens vers les premières vidéos du show (très bon son) :
Part I
Part II
