Cinquante-quatrième concert, première date d'une tournée européenne puis nord-américaine, ce concert de
Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band dans une Cigale comble avait un air de consécration. Consécration d'un groupe qui, comme il le reconnaît lui-même, n'est pas un habitué des salles de cette ampleur. Consécration encore d'une musique qui, c'est indubitable, prend toute son ampleur sur scène.
Dès l'introduction de
God Bless Our Dead Marines, le ton est donné : écorché, à vif - on y est désormais habitué - mais surtout impeccable, sans accrocs, d'une perfection que
Horses In The Sky lui-même ne laissait pas présager. Perfection sonore, interprétation lumineuse, équilibre volontairement instable entre le quatuor contrebasse/violoncelle/alto/violon et le songe de groupe de rock que forme le trio guitares/chant/batterie.
La voix d'Efrim semble libérée du poids des textes qu'elle porte (textes parfois à la limite de la naïveté adolescente comme ce " Kanada o Kanada I've never been your son ") et elle s'impose moins comme la voix d'un leader que comme une voix de tête. Car, c'est au moment où les premiers chœurs se font entendre, au moment de ces premiers coups de canon qui se prolongeront jusqu'au second rappel :
Teddy Roosevelt's Guns, que la musique de
Silver Mt. Zion devient perceptible dans toute son ampleur, dans toute sa largeur de vue, dans toute son intensité et sa générosité. Les voix tissent une trame sonore, dans laquelle la signification - ce que disent les mots chantés - est à la fois dépassée et maintenue : dépassée parce que, dans l'écoute, la forme l'emporte sur le fond - maintenue parce que les mots étant chantés comme ad libitum, la signification est exposée et exposée encore.
Les chœurs et les canons donneront ainsi tout au long du concert de
Silver Mt. Zion une dimension religieuse à la musique. C'est certes une religiosité comme on peut l'entendre dans cette forme rénovée de gospel contestataire. Mais c'est surtout, au sens propre, une série de relations qui sont établies entre les voix. Le chœur qui chante en canon relie ceux qui le composent, peut-être mieux encore que les parties instrumentales parce qu'il met l'accent sur les différences, différences qui s'expriment dans le temps. Dans ces moments-là, la scène est une forêt de microphones, peuplée de corps qui chantent leur unité, dans les différences de positionnement temporel de leurs voix.
Chaque titre, jusqu'à l'inédit
Blind Blind Blind, joué en premier lors du rappel, aura ainsi fait résonner toute la musicalité, l'inventivité et la puissance dont
Silver Mt. Zion peut et sait faire preuve. Des passages les plus bruyants et dissonants qui savent encore laisser un espace à la voix pour s'exprimer, aux moments les plus lents, mélancoliques et harmonieux, rarement on aura assisté à un aussi bel éloge de la musique live.
Les esprits chagrins qui reprochent au groupe son " embourgeoisement " (ils demandent : " Où est l'esprit Do It Yourself ? " et on ne sait que trop leur répondre…) se montrent en l'occurrence bien réactionnaires.
Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-La-La Band n'a rien perdu de cette indépendance et de ce radicalisme musical qui ont fait, avec des groupes comme
Sofa ou
Exhaust, des disques Constellation un label culte. Simplement, leur musique est, à l'image des musiciens sur scène - image qui tranche avec celle de l'époque de
Godspeed You Black Emperor ! -, plus ouverte. Et, c'est en cela que, plutôt que d'ergoter sur le passé, on peut parler de cette constellation au futur. Ce soir, la preuve en a été faite.