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Bat For Lashes

: Interview avec Bat For Lashes



Alors que nous poussons la porte du salon de réception de l’hôtel parisien où nous sommes conviés à rencontrer Natasha Khan, nous la surprenons à jouer de l’autoharp et à fredonner de jolies mélodies. Légèrement vêtue et pieds nus, Natasha séduit sans dire mot. La rencontre confirmera tout le bien que nous pensons de Bat For Lashes.

Natasha, commençons par ces mots que Thom Yorke eut au sujet du titre Horse & I, premier morceau de votre album Fur And Gold qu’il choisit pour sa Top Ten Playlist sur iTunes : « J’aime le clavecin, les voix fantômes très sensuelles et la scie musicale. Cette chanson semble venir d’un conte de Grimm et me fait me sentir comme un loup.” Comment réagissez-vous ?

(Imitant le cri du loup). Je suis sincèrement flattée, puisque j’ai grandi musicalement avec Radiohead. Ce fut une réelle surprise de lire cela, et même si ça me semble encore irréel, je dois m’imaginer que d’autres personnes doivent penser la même chose pour pouvoir continuer à travailler. Évidemment cela flatte l’ego, mais je refuse de trop y penser car je sais pertinemment que lorsque j’enregistrerai mon prochain album, je me dirai assurément que c’est la pire chose que je n’ai jamais faite. (Rires)

C’est toujours intéressant et parfois surprenant de connaître la généalogie d’un album comme les influences d’un groupe. Lorsque nous parcourons des articles sur Bat For Lashes, nous croisons les noms de Cat Power, Feist, Björk, parfois Cocorosie. Que considérez-vous comme étant vos influences ?

Je ne pense pas que mes inspirations soient avant tout musicales. J’apprécie tous ceux que vous venez de citer, mais désormais je me focalise sur la constitution de mon propre univers. Les références qui forgent mon inspiration sont aujourd’hui davantage des bandes originales de films, la photographie, les films de David Lynch, mais aussi les compositions de Steve Reich
Ma musique est avant tout cinématique. C’est en ce sens que mes influences prennent la forme de paysages. Il m’est indispensable d’aller dans des endroits où je me sens particulièrement vivante. Comme ces forêts et ces clairières ouvertes sur de grands ciels : cela m’évoque ce sens de l’aventure que l’on pouvait avoir, enfants, et le côté sombre et terrifiant de ces paysages m’excite. La côte pacifique américaine, les nuits étoilées de Californie, tous ces paysages sont des lieux et des moments importants pour moi.

Donc une inspiration visuelle…

Visuelle, oui, et orchestrale. J’aime beaucoup un Scott Walker par exemple, vous savez ce fou qui dans les années soixante-dix chantait comme une glamorous drag queen (imitant la chose). C’est un homme qui a su magnifiquement s’entourer dans l’univers de la pop music (avec notamment Phil Spector) mais qui est devenu à moitié dingue, et ses productions plus récentes sont plus proches de celles d’un Nick Cave, sombrant dans un univers totalement dépressif. Bref, j’aime beaucoup ce qu’il fait…

J’imagine donc l’importance du travail vidéo qui peut être effectué autour de votre musique. Que pensez-vous du clip de Prescilla, réalisé par Andy Buntel, et de son ambiance résolument seventies ?

Je tiens à garder le contrôle complet sur le travail qui peut être réalisé. Je suis donc très contente de ce qu’a fait Andy, c’est une vidéo amusante ! Nous en avons une nouvelle, sur What’s a Girl To Do, qui est vraiment excitante. Je crois que c’est ma préférée ! (NDLR : le clip s’articule autour d’une chorégraphie en BMX).

Quel est votre rapport général aux productions musicales des années 60 et 70 ? De l’instrumentation au dress code en passant par la gestuelle, cela semble très présent. Néanmoins, vous ne tombez jamais une pop rétro.

Cela constitue une partie de ma personnalité, faite de nostalgie à l’endroit du romantisme de cette époque. Et Devendra (NDLR : Devendra Banhart) qui compte beaucoup pour moi, participe à me faire sentir chez moi dans cet univers. D’un autre côté, j’écoute beaucoup Prince, MIA, j’adore le Hip Hop et Dizzee Rascal, les beats sexy et les grosses basses. Je veux danser !
Ce sont donc deux dimensions contradictoires de ma personnalité comme de ma musique ; vous avez ces vieux instruments qui recréent ces ambiances typiquement anglaises, mais également ces beats eighties. Et c’est en cela que ma musique évite l’écueil du pastiche et ne se centre pas sur une seule atmosphère. C’est un bon mix au final.

La transition peut sembler incongrue, mais j’ai lu une chose étonnante. Vous auriez rêvé de Jeanne d’Arc !

Je n’ai pas exactement rêvé d’elle… Lorsque nous nous apprêtions à rentrer en studio, j’étais quelque peu angoissée et j’ai rêvé d’un cheval noir se présentant sous ma fenêtre, je l’ai monté et nous avons traversé la forêt jusqu’à ce que nous rencontrions des fantômes d’enfants. Le rêve est un peu confus, mais je me suis retrouvé avec une couronne et l’on m’a lancé : « tu dois y aller désormais, et faire ton travail ». C’est une véritable initiation : le cheval est un symbole puissant de la traversée, ce rêve a une texture magique et la couronne, alors, … c’est celle de la reine ! (Rires) Je ne l’interprète que dans un rapport très introspectif : cela signifie que j’avais des responsabilités à assumer : You do justice to my work.
Jeanne d’Arc est un personnage historique et symbolique très fort et elle s’est effectivement retrouvée ici ce soir là… !

Écouter Fur & Gold comme vous voir sur scène appelle des images surprenantes : processions chamaniques, liturgies cabalistiques. Dites-moi si je suis à des années lumières de votre réalité…

Non, j’ai un sentiment très similaire. J’aime penser à la beauté des choses invisibles, l’imaginaire étant ce passeport pour ces choses auxquelles vous n’avez pas accès. L’inspiration est quelque chose que vous ne pouvez ni contenir ni maîtriser.
C’est à mon sens le travail de l’artiste de tendre un pont et de donner à voir, via des correspondances, le réel métamorphosé. Si ma musique appelle des images chamaniques, c’est probablement parce que je laisse parler les muses qui m’inspirent, comme les ancêtres et les animaux. Je rêve très souvent d’animaux qui ont une charge symbolique forte, comme les loups. Ils m’aident dans ma tâche créatrice. Cela m’aide à me sentir plus forte également ; je ne m’intéresse pas aux choses très terre-à-terre et superficielles.

Pour revenir à l’aventure Bat For Lashes, il s’est passé beaucoup de choses entre votre découverte française par Les Inrockuptibles (compilation CQFD 2006, Festival Les Inrocks 2006) et le grand écho dont vous jouissez aujourd’hui dans la presse musicale et les différents média. Vous serez d’ailleurs à Rock en Seine, fin août. Comment avez-vous vécu ces six derniers mois ?

Je ne sais pas… on a beaucoup tourné à vrai dire. L’album est sorti sur un tout petit label qui fait peu parler de lui (NDLR : Echo Label), il fallait donc être patient. Mais nous travaillons et jouons sans cesse. Je pense surtout que la formation actuelle de Bat For Lashes est la bonne ; j’ai toujours changé de musiciens et ces trois-là sont les bons ! Nous travaillons calmement, progressons en franchissant des paliers : aujourd’hui les prestations scéniques que nous assurons ont trouvé leur équilibre, gagné en force, sont plus puissantes et même plus dramatiques que l’album. Nous sommes fiers de ce que nous faisons. Et je pense d’ailleurs que le public français l’apprécie, peut-être davantage que le public anglais : les Français ont une conscience aiguë du romantisme et de la poésie.

Dans quel pays rencontrez-vous l’accueil le plus chaleureux ?

En Angleterre, assez naturellement, mais également en France et aux Etats-Unis où j’ai des amis qui nous ont créé de belles opportunités : Devendra, Spleen… Mon premier concert sous le nom de Bat For Lashes, il y a environ deux ans, s’est produit à Paris !
J’aime énormément voyager, j’espère donc que ma musique me fera traverser les frontières et puiser de l’inspiration un peu partout.

Les projets du moment sont-ils centrés sur la promotion de Fur & Gold, sorti récemment en France, ou vous tournez-vous déjà vers la composition d’un nouveau disque ?

Je veux évidemment réaliser un nouvel album. Mais je suis tellement occupée et sous pression que ce n’est pas facile. J’ai à peine commencé à travailler…
Le groupe est vraiment bon désormais et je souhaiterais surtout jouer sans cesse. Nous verrons bien comment la suite va s’organiser.

Une dernière question Natasha, nous sommes curieux de savoir ce que vous écoutez en ce moment et quels sont les deniers albums qui vous ont marquée ?

Le dernier album qui m’a véritablement transporté est celui de Joanna Newsom, Ys. Ces textes me touchent énormément. Nous n’avons plus de poètes et les musiciens inspirés, parfois, prennent leur place. C’est ce qu’elle fait, et ce qu’elle est : une poète moderne. Elle a mis toute son âme dans ce magnifique album qui est à écouter de suite si vous ne le connaissez pas.

Quelques mots en français ?

Que voulez-vous que je vous dise ??! (Rires) Je peux vous réciter quelques mots d’une chanson que j’ai écrite, dans laquelle pour partie je parle. Je suis une admiratrice de Serge Gainsbourg et de son chanté-parlé. Cette chanson parle de mon ami français (en français dans le texte).

Tu es un grand cheval noir, me dit-elle,
Et un petit chevalier te trouvera,
Parcourant les rues, parcourant les déserts
Il viendra, car tu es amour.

(NDLR : extrait du titre Circle Song).


Merci à Vincent B.

Interview par Igor
le 19/08/2007

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A lire également sur dMute :
Fur and Gold
(2007)
Echo
Pop



1 commentaire
www.myspace.com/benoitmirveiski
par Benoit Mirveiski (le 21/08/2007)
Merci beaucoup Igor pour cet interview. C'est un groupe vraiment bien et je suis content de voir que la mentalité suit.
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