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O.Lamm

: Interview avec O.Lamm



"Retourner la musique comme un gant, donner honte à tous ces électroniciens flemmards et gagne-petit, les humilier, les ensevelir sous des monceaux et des monceaux de déchets sonores."

Fevrier-mars 2005. Entretien sans contraintes avec un électronicien libre et moderne.

Tu reviens de Suisse... Tu y as joué ?

Non, j'y ai agité quelques racines, j'ai foulé la neige (ce que je préfère faire au monde), j'y ai enregistré quelques fulgurances sonores animales et autres détails anthropologiques contemporains. En revanche je pars bientôt pour la Russie et la Sibérie, pour une petite dizaine de dates, et ça me fout la frousse.

Ces lives t'ont mené au Japon, en Hollande, à Belgrade, qu'est-ce que tu retiens de ces différents sets/pays/publics ?

J'aurai du mal à te tracer un portrait de chacun des publics des endroits où j'ai joué (tu peux rajouter l'Angleterre, l'Ecosse, l'Allemagne...), ça va du sordide (notre première tournée Active Suspension en Grande-Bretagne) à l'euphorique (jouer de manière totalement absurde devant 3000 personnes au Sonar de Tokyo), et c'est souvent plutôt lié aux conditions d'organisation qu'au pays lui-même. Mais voyager est évidemment la conséquence la plus immédiatement gratifiante de mon activité. Petit à petit, parcourir la France et certains pays du monde permet de tisser sa toile, d'établir des connexions, des alliances, qui sont impossibles à installer à distance, juste avec un disque envoyé par la poste. Je retourne au Japon pour la troisième fois cet été, dans le cadre d'une itinérance d'un mois, co-organisée par Mehdi (responsable du projet Shoboshobo) et Lozi, un musicien de Nagoya que je commence à bien connaître, et rien ne me rend plus heureux. Ceci dit, ça fait une éternité que je ne suis pas parti quelque part pour des vacances. J'ai même oublié ce que ça voulait dire, tiens, les vacances.

On commence à bien connaître O(dot).Lamm, mais on en sait peu sur Olivier Lamm. Peux-tu te présenter aux internautes (âge, activités extra-musicales...) ?

J'ai 25 ans, je suis parisien, je vis en haut d'une petite tour. J'y ferai certainement ma vie. Je suis supposé boucler d'ici un an une thèse de littérature américaine sur le plus grand écrivain de tous les temps (Thomas Pynchon) mais pour l'instant, je me bats surtout avec un emploi du temps plein de réunions, de répétitions, de concerts, de voyages impromptus et de rencontres magnifiques. La prochaine étape devrait être hibernative, je vais essayer de me tenir en place et de trouver une direction claire pour mon existence.

Quelles sont tes habitudes de travail (nocturne, à jeun, trois semaines enfermé, seul avec ton laptop ou sur le long terme, par petites sessions ?

Je travaille par périodes intenses de plusieurs jours, souvent dans les pires moments, quand j'ai plein d'autres trucs à faire. C'est assez ponctuel, irrégulier. Le problème étant de m'accorder avec les éventuels participants, qui défilent tous, un par un, dans mon minuscule studio, en face de l'ordinateur. Heureusement, quand j'ai un projet à terminer, tout ça finit par devenir plus régulier, matin, midi et soir. Les trois derniers mois d'élaboration de Hello Spiral ont été particulièrement intenses pour moi, car c'était la première fois que je travaillais presque à plein temps sur un disque. C'est une expérience assez spéciale, quand tu travailles chez toi et que tu es le seul maître de ton emploi du temps.

On peut lire en ce moment sur Chronic'art.com ta chronique du chef-d'œuvre de Nine Inch Nails, "The Downward Spiral". Quel est ton background d'auditeur (passé, présent) ? Le "spiral" du titre de l'album pourrait venir de là...

C'était mon plus grand problème, avant, la spirale me menait par le bout du nez. Aujourd'hui, je me retourne et je vois où elle veut en venir. Elle n'a jamais été descendante, et la filiation avec NIN est hasardeuse. Elle part de Manchester, j'avais onze ans, j'écoutais The Happy Mondays et "Screamadelica" de Primal Scream sans rien y comprendre. Ensuite, schématiquement, tu peux la suivre, à travers les âges, lézardant de Philippe Zdar, quand il défonçait Norma Jean Bell, vers Reznor, circa 1992, puis de n'importe quoi de Mika Vainio, Panasonic et consorts, vers Wire, Lou Reed, Stereolab. Ensuite, elle saute à cloches-pieds de Coltrane à General Magic & Pita, de Smog à Varèse, de Cornelius Cardew à Ground Zero, de Drexciya à Phill Niblock, de Lucky Kitchen à Nobukazu Takemura, de Charles Ives à FX Randomiz (ce petit bâtard viennois m'a retourné la tête à plusieurs reprises). J'aimais la musique électronique quand elle était une histoire de vie ou de mort, de pur bonheur moderniste, de pure masturbation technologique (quand tu écoutes Daft Punk, Autechre, Oval, tu écoutes des gens avoir du plaisir en tournant des boutons ou en jouant avec des logiciels), et j'aimais l'indie rock quand il tressaillait de partout en même temps et que le mot lo-fi était totalement politique. C'est fini. Aujourd'hui, j'aime presque cyniquement la pop quand elle excède en glucose et le métal quand il est extrême et malveillant (doom, sludge, black, brutal hardcore) et je voue un culte à tous ceux qu'on vénère depuis toujours (Ray Davies des Kinks, Dylan, XTC, The Melvins). Et puis, quand même, quelques jeunes actifs, n'importe quoi de Florian Hecker, Basement Jaxx, Deerhoof. Et aucun de tous ces gens n'a jamais orienté aucune de mes envies musicales, tiens donc.

"Presque cyniquement". C'est-à-dire en constatant les fulgurances diaboliques de cette pop ?

Disons que revenir à la simplicité et à l'académisme de la pop après être passé par tant de disciplines musicales aux champs infinis, art sonore, musique improvisée, etc., me fait un peu frémir quant à mon niveau d'investissement en tant qu'auditeur (cette bonne vieille culpabilité post-nietzschéenne dès qu'on s'écarte un peu d'une ligne de faîte...). Ca ressemble un peu à un constat d'échec pour moi. A la fin de la journée, même le plus grand des commentateurs de music business, James Kirby de V/VM, écoute de la pop music. Ceci dit, ça ne veut pas dire que je considère la pop comme une musique inférieure, bien au contraire. C'est la plus puissante des musiques, sa forme contemporaine la plus juste, quand elle rencontre des démarches innovantes, My Bloody Valentine, The Flaming Lips, Cornelius ou le plus brillant groupe de pop électronique du monde, Dat Politics. Son caractère fulgurant et diabolique n'est pas un problème, à chaque musique ses caractéristiques, et si l'immédiateté est celle de la pop, pourquoi pas. Le problème serait plutôt les liens qu'entretient l'industrie musicale avec cette immédiateté, l'usage simpliste qu'elle en fait pour démultiplier ses investissements.

Hormis "My favorite things", "Six Residua" et quelques morceaux pour diverses compilations, que s'est-il passé depuis Hello Spiral ? On se dit que tu as du rencontrer quelqu'un ! Est-ce que ta conception de la musique ou de ce que devait être ta musique a évolué ? Sur ton blog, tu dis "i am tired of ALL form of attitude"... C'est une angoisse du "tout a déjà été fait" postmoderne ?

Un disque en 2004 m'a remis à ma place: "Cartoom" du duo japonais Plus-Tech Squeeze Box. Je ne saurai dire à quel point il redonne foi en la musique, et la redéfinit comme, je cite sans prétention un merveilleux théoricien américain du nom de Curtis White, "un champ infini de possibilités monstrueuses (...), un jeu combinatoire qui joue sur les possibilités infinies de l'œuvre d'art à partir de sa propre matière". Tout est là, il suffit de se servir. Je ne connais aucun disque qui soit, plastiquement, plus post-moderne que le disque de Plus-Tech Squeeze Box, et pourtant, j'en connais peu d'aussi créatifs, d'aussi novateurs, d'aussi... modernistes. C'est la bonne nouvelle de l'année. Les modernes et les post-modernes ont plein de choses à faire ensemble. Prends deux, trois nerds à lunettes carrées, habilles les un peu correctement, fais leur écouter un disque de métalcore, mets leur un t-shirt Wire sur les épaules, et tu auras.... ouais, non, tu n'auras pas grand chose en fait. Je parlais de ma fatigue de toute forme attitude, il y a quelques jours, dans un contexte bien particulier. Il me semble évident que sans attitude, la musique est bien triste. La musique n'est jamais un pur plaisir formel. C'est un mythe, le pur plaisir formel et auditif, en musique. Tout est, avant une histoire de pur plaisir sensible, une histoire de culture, de reconnaissance. Absorber du rock, de l'IDM, du Varèse, du Xenakis, c'est absorber des images, des idées et de l'histoire. En second lieu, ça provoque éventuellement des sensations au premier degré (au-delà de l'hypnotisme simpliste d'un Steve Reich, des effets psychoacoustiques d'un drone persistant ou d'une onde sinusoïdale à fréquence élevée, et de la sensation bruit immergeant dans le contexte d'un concert). Comment se débrouille-t-on avec quarante ans de musique pop dans les pattes? Les modernes du début du siècle, Varèse, Busoni, Cowell, Russolo, avaient cinq siècles de classicisme à traîner. Ils s'en sont bien sortis, en faisant du boucan. Il me restait peu d'autres alternatives que de me sentir absolument libre de toute orientation musicale précise, ce qui explique sûrement pourquoi ma musique, actuellement, peut effrayer par son côté saturé, éclaté. Elle est pop en bout de course, mais elle est beaucoup plus bavarde que ça. Un peu comme ce disque de Ground Zero, "Plays Standards", qui reprend quelques standards free-jazz ou j-pop en les parasitant de tous les carrefours possibles et imaginables. Juste après ce disque, Otomo Yoshihide, le leader du groupe, a découvert le silence et le zen. On verra ce qu'il advient pour moi... Les pistes actuelles sont pourtant loin d'être zen.

Avais-tu une volonté, une envie, pour "Hello Spiral, avant même d'entamer sa composition ?

Retourner la musique comme un gant, donner honte à tous ces électroniciens flemmards et gagne-petit, les humilier, les ensevelir sous des monceaux et des monceaux de déchets sonores. Aux dernières nouvelles rien n'a changé, ils se complaisent toujours dans leur petit monde étroit. Aussi, trouver quelques étincelles qui font "pop" en éclosant, des mots cryptiques mais chantables, faire fredonner à l'humanité (la grosse moitié féminine, en priorité) des choses étranges, sales, démoniaques. Plus prosaïquement, je voulais creuser la composante chanson de ma musique, sous toutes ses formes, creuser le sillon "classic pop" qui a été ma principale formation, et laisser aller ma propension pompeuse, mon gigantisme un peu ringard. Le reste a éclos presque tout seul, je n'ai eu qu'à diriger un peu le flux et être un peu drastique au moment de composer l'album dans sa totalité.

Rewind. Tu as commencé par la pop alors, tu peux détailler ton cheminement ? Comment t'es-tu retrouvé à concevoir de la musique électronique, comment as-tu "basculé" ?

Je t'épargnerai mes premières expériences musicales. Je commencerai avec mon premier sampler, ma découverte du bruit blanc. Mon premier attrait pour la musique électronique s'est fait via les logiciels de musique en temps réel. J'ai une formation de musicien de rock de base, mais je n'ai jamais "basculé" dans la musique électronique. J'ai basculé dans le home studio, la musique en solo, pour ne plus dépendre des mauvaises idées d'un autre, pour être le seul décideur. Il y a trente ans, il fallait avoir vendu des millions de disques et être un cerbère impitoyable pour en arriver à cette situation (Brian Wilson). Aujourd'hui, c'est gratuit. Et je suis le seul décideur de la manière dont les éventuels participants à mes morceaux les influence ou les modifie.

"Premier sampler et découverte du bruit blanc". C'est à cela que correspond ton event02, assez déconcertant - avec dans le même temps une illustration de cette histoire de neige (décidément) de Laxness ?

En quelque sorte, oui, même si ce disque est le résultat de plus d'un an d'investigation et de fouille de la matière bruit. Il s'appelle "Snjor", soit neige, et mon idée était de recréer une tempête de neige de l'intérieur... ou quelque chose comme ça.

Comment t'es tu retrouvé dans l'aventure Evenement, puis sur Active Suspension ? Il y a indéniablement une nébuleuse qui te réunit toi, Hypo, les gens d'Active et de Clapping Music (et Discom, Domotic, etc.), dDamage... Même si vos musiques sont très différentes. Tu peux nous resituer dans ton parcours les rencontres avec ces personnes-là ? Et Shoboshobo, qui est-il

J'ai d'abord rencontré JC d'Active, qui à l'époque n'était qu'un tout petit label qui ne sortait que des quarante-cinq tours. Je lui ai donné une cassette, la seule démo que j'aie jamais envoyé, ou presque. Quelque chose comme un mois après, j'ai eu vent de "Revendications", de My Jazzy Child, la toute première référence d'Evènement!, et j'ai immédiatement été frappé par la force de la musique, et l'originalité de cette structure, l'un des tout premiers labels cd-r en France. Le courant est très vite passé, dès la première rencontre je crois, avec Damien (MJC) et Julien (qui fait Clapping Music), et "Snjor" est la deuxième référence d'Evènement. Ils s'apprêtaient à sortir l'album de King Q4... JC m'a présenté Yann, de Encre, au même moment, dont il sortait un quarante-cinq tours en même temps que moi (en fait, on a attendu plus d'un an et demi avant que ces disques sortent, parce que le label était un peu endormi à ce moment-là... ça a forgé notre amitié), à qui j'ai conseillé de donner une démo à Julien de Clapping... (tu connais sûrement la suite de cette histoire là)... Un peu en même temps, j'ai connu Anthony, qui fait Hypo (qui venait à l'époque de sortir un quarante-cinq tours de son projet précédent, Transbeauce, sur Active), et on est immédiatement devenus de très bons amis, en même temps que j'ai connu Julien Loquet, qui faisait Gel: et qui sortait également un 7" sur Active (maintenant il fait Dorine_Muraille, sur Fat-Cat). Il y avait une vraie effervescence, à cette époque là, parce que nous étions pleins de musiciens sans label, à Paris, et puis il y avait les soirées Büro, les soirées Infamous au Batofar, Deco, Ruminance qui se montaient... J'imagine que c'est contemporain d'une effervescence mondiale en ce qui concerne les musiques électroniques caractérielles, et ça a été une vraie effervescence humaine, aussi. Que dire d'autre? Cet imbroglio d'artistes et de projets est avant tout un imbroglio d'amis, de partenaires solides ou occasionnels, de bureaux partagés, et d'histoires compliquées, dont je ne suis qu'un composant parmi tant d'autres. JC d'Active et Julien de Clapping Music travaillent depuis 2002 ensemble, et ont fondé une seule et même société. Et Gloria de Tsunami-Addiction, les frères Hanak de dDamage, Stéphane de Domotic, Anthony Hypo, Johann de Shinsei, Davide Balula, tout Evènement, Kumi et Zoé de The Konki Duet, Mehdi de Shoboshobo (qui n'est pas un projet musical, mais une série d'évènements et concerts franco-japonais) font tous partie de mon quotidien depuis plus de cinq ans. Avec un peu plus d'organisation et quelques efforts, nous pourrions être la force artistique la plus puissante de France.

Revenons-en à Hello Spiral. Pour ce disque, tu t'auto-samples (Six Residua, Elegy to Allegra), tu reprends des morceaux précédemment réalisés (Kopavogur Revisited), tu chantes, et quand tu samples un autre, ça ne semble pas anodin (la vidéo de Yuki Kawamura "Shiki" )... Doit-on comprendre Hello Spiral comme une sorte de disque total (synthèse de tout un univers), et aussi d'œuvre bilan par rapport à ta discographie ?

Première précision, je n'ai pas samplé la musique d'un autre pour la musique de "Shiki", Yuki est vidéaste. J'ai réalisé la musique pour son installation, que j'ai ensuite récupéré à mon compte. Ceci étant dit, j'aime jouer avec le caractère infiniment ouvert d'un morceau enregistré en multipistes, modifiables à l'infini. Tu peux infiniment revenir dessus, ce qui ne veut pas dire que le geste compositionnel soit moins fort en musique électronique que dans n'importe quel autre style de musique. Ecoute "Let It Be Naked" des Beatles, ou regarde comment certains compositeurs, Boulez par exemple, n'ont de cesse de revenir sur leurs partitions, de les "corriger", les modifier encore et encore, même trente ans après. Comment considérer "Smile" de Brian Wilson dans sa version de 2004? Il revient sur un album jamais sorti dans son intégralité, le réenregistre totalement avec des musiciens clonés sur les originaux, et en modifie même certaines parties disparues des cartons et de ses neurones grillés. De quelle année date donc ce disque? De quelle réalité vient-il ? Wilson n'y chante d'ailleurs presque pas. Pourtant, le disque existe bien, comme un calque modifié, synthétisé, de l'original, que personne n'entendra jamais dans sa version intégrale. C'est tout à fait fascinant. Je viens de cette culture de légendes, de rumeurs, de mythes qu'est la pop music. Et, de manière un peu surannée, j'en récupère quelques oripeaux. J'aime les disques matérialisés, les projets cyclés, les disques qui avancent de manière totale. Si "Hello Spiral" a des allures d'œuvre bilan, c'est une orientation que je lui ai insufflée. C'est vrai et faux, car, outre mes tics de composition et de sound-design, j'aime à penser que la musique du disque était totalement nouvelle et inédite quand je l'ai élaborée et composée. J'aime donner l'impression d'un total imaginaire trop complexe pour être compréhensible, de quelque chose de trop vaste pour être parcouru dans son intégralité. Pour ça, outre la quantité exagérée de matériau sonore à proprement parler, il convient de lancer des pistes d'explication, d'établir des correspondances avec le réel. En musique, ces connexions se font avec ma production musicale passée. En outre, j'avance, comme tous les artistes, de manière dialectique. Mon passé se trouve forcément recyclé et concentré d'une manière ou d'une autre dans mon présent.

"Hello Spiral" est sorti il y a quelques mois déjà. Il n'a effectivement pas - encore, j'aime à penser qu'en raison de sa nouveauté, sa compréhension met un peu de temps - changé les choses. Il propose différents niveaux de lectures : on peut s'accorder avec sa sensibilité, ses transports ; se laisser porter par les vagues de groove, les accroches ; le fouiller, le scruter dans tous ses détails pour décoder un maximum ses expérimentations... Ou cumuler tout cela. Parmi les échos qui te sont sans doute parvenus, comment a-t-il était envisagé généralement, qu'est-ce que tu lis/entends le plus souvent à propos d'Hello Spiral ? Une "contre-réaction" (positive ou négative) à ces feedbacks ?

La plupart des échos que j'ai eus de ce disque étaient assez cohérents, même si je commence à regretter cette satanée spirale qui revient presque systématiquement en leitmotiv et motif d'explication du disque. Ce disque n'est pas un manifeste, c'est juste ma musique en 2003-2004. Evidemment, les quelques dithyrambes sont venus d'ailleurs, de loin. La France n'a pas changé, elle est toujours aussi sclérosée de minables guerres de gangs, de jalousie sourde, et d'a priori injustes (auxquels je n'échappe pas, évidemment, je n'aurai pas cette mauvaise foi). J'ose imaginer que si mon disque avait été enregistré par un allemand ou un américain, voire s'il était simplement sorti sur un label allemand ou américain, il aurait été plus attentivement écouté. Mais tout ça concerne quelques médias ou acteurs de l'underground qui, pour moi, n'existent pas. Je ne nourris aucun ressentiment, je suis juste assez frustré d'avoir autant de mal à faire écouter le disque. "Hello Spiral" est donc relativement ignoré, mais aussi presque systématiquement aimé par ceux qui l'ont écouté. Les mots "injustement ignoré", "injustement méconnu" reviennent souvent dans leur bouche, je n'invente rien. Et j'ai reçu les vraies critiques sans stupeur, elles étaient assez justes (saturation, trop plein, éparpillement, sensation de se perdre: ce caractère extrême de ma musique ne peut pas plaire à tout le monde). Je continue à penser que ce disque est, à sa manière, innovant, nouveau, étonnant. Imparfait, certes, je n'en doute pas. Mais j'explose sans effort 80% de la concurrence.

Est-ce que tous ces invités (surtout toute la Lucifer Amp Choir) interviennent sur ce disque au service de ton envie de se lâcher un peu dans la démesure pop, ou est-ce qu'ils t'apportent plus que cela ? Est-ce que les collaborations en général (cf. "O.Lamm chante Fugain") et sur ce disque en particulier sont quelque chose d'important pour toi ?

J'aime beaucoup l'idée d'un disque aux allures grandioses et démesurées, pourtant réalisé avec trois fois rien, enregistré à la maison, avec des amis. L'idée d'une chorale de vingt personnes vient de là, et des exigences intrinsèques de "Bruises", le morceau sur lequel elle intervient. J'ai donc convié tous les amis musiciens proches (tous les gens évoqués ci-avant), ainsi que les non-musiciens, à venir chanter sur le morceau. La séance d'enregistrement, dans la cave des anciens locaux d'Active Suspension, a été un grand moment de bonheur musical, et je rêve de le transposer un jour sur scène. J'aime la grandiloquence. C'est un véritable travers chez moi, je suis sûr qu'il me mènera à ma perdition. Pour le reste, chacune des collaborations sur le disque a été motivée par les exigences de chaque morceau, la manière dont je les imaginais. Outre le fait que chaque participation a été finalement et absolument cadrée et éditée par moi, je ne saurai jauger la manière dont chaque chanson a été modifiée par les personnalités musicales de chacun des invités, mais ce qui est sûr, c'est que chacune des voix a été utilisée comme plus qu'une simple voix, et que chacun des instrumentistes a été utilisé comme plus qu'un simple instrumentiste. Sans Zoé et Kumi de The Konki Duet, sans Stéphane de Domotic, sans The Very Ape, sans Davide Balula, sans Noak Katoi, le disque serait certainement tout autre.

"Six Residua" est excellent, comment s'est faite la connexion avec Sutekh ? Comment tu définirais les différences d'approche entre vos travaux respectifs ?

Seth est l'une des très rares personnalités musicales de la musique électronique actuelle que je respecte totalement. Il ne fait partie d'aucune meute. Il n'a qu'une chose à cœur, parler directement avec son sens esthétique, ses faiblesses, ses qualités, son sens de l'humour, ses tares. Sa musique est électronique presque par hasard, elle pourrait être toute autre. D'ailleurs, depuis un an, il ne fait que du piano, et il est totalement obsédé par Bach. Un ami à moi lui avait donné mon premier album il y a trois ans, et il m'a spontanément proposé une collaboration. Encore une fois, pour une histoire de sensibilité commune, pas de famille musicale. Seth est très précis, il aime les lignes claires, les enchaînements lisibles, alors que j'aime les purées très denses de sons, quand les pistes s'entremêlent de façon hasardeuse. Le résultat ne pouvait être qu'exceptionnel.

Et rétrospectivement, comment considères-tu "Snow Party" ?

Mmmh. Ca fait longtemps que je ne l'ai pas écouté. Je crois me rappeler qu'outre quelques mélodies naïves et quelques rythmes un peu trop marqués par leur époque, il y avait vraiment de bonnes choses, des vraies bonnes idées. Je ne voulais pas être dans mon époque. Je voulais déjà faire un disque de pop. J'aimais déjà Thomas Pynchon (le premier morceau, "Mason & Dixon", tire son titre d'un roman de Pynchon...), les collages intensifs, les jeux de contraste. J'avais les mêmes inclinations et les mêmes défauts. Par contre, je ne savais pas trop où j'allais, et j'étais beaucoup plus tiraillé entre mes diverses envies (en gros, faire du bruit d'un côté et faire des chansons de l'autre) pour que le résultat soit vraiment cohérent. (...) Tiens, je le réécoute, là. J'aime beaucoup "Stevealbini", sa mélodie floue... Je n'ose plus trop ça, les mélodies floues. Mais je regrette surtout l'optimisme que je ressentais à l'époque, en faisant ce disque. Tout était beaucoup plus simple, je me posais moins de questions. Je me contentais d'aimer les sons.

Et n'y a-t-il pas dans ton dernier album un rejet de cette tempérance propre à une incertaine scène "laptop music" ? Est-ce qu'il y a un moment où tu te dis : il y a une masse de copistes, prétendument défricheurs, d'ennuyeux laborantins qui bossent sur les mêmes logiciels que moi et il est temps que je m'en distingue ?

Tiens, je continue ce que je disais auparavant. Je n'ai jamais eu l'impression de faire partie d'aucune scène, si ce n'est du groupe d'artistes dont je fais peut-être partie. La laptop music n'existe pas, n'a jamais existé. Il y a eu de la bonne musique électronique, à une époque, qui était faite avec des ordinateurs ou avec des machines très simples. Il y en a encore, même si la fraîcheur, l'excitation de la découverte qui était contemporaine du geste de création (celle qu'on peut entendre sur ces disques pionniers, de Pita, Oval, FX Randomiz, Farmers_manual, Mika Vainio et Panasonic, où faire du boucan bizarre semblait quelque chose de si simple, de si joyeux...) n'est plus vraiment à l'ordre du jour. A quelques exceptions près (tout ce que fait Florian Hecker), ces jolis sons qui étaient si nouveaux ne sont plus nouveaux, ils ont rejoint le reste de l'histoire de la musique, et c'est plus compliqué de farfouiller ses logiciels et de composer dans ces conditions, c'est sûr. Heureusement, il en reste qui continuent à fabriquer leurs propres applications et à farfouiller du patch parce qu'ils en ressentent le besoin, pas parce que c'est à la mode. Ceci dit, je ne pense pas avoir jamais eu de difficulté à faire entendre ma voix. Je n'ai jamais ni ressenti l'envie ni l'angoisse de faire la même musique qu'un autre, pour la simple et bonne raison que je ne fais pas de la musique pour ressembler à un autre. C'est un mystère, pour moi, ces gens qui se disent, avant d'écrire un morceau, "je vais faire en sorte qu'il ressemble à un morceau comme ça" ou "à un morceau d'untel", parce que ça complique les choses, et que ça ne sert à rien. Avoir l'arrogance de proposer sa musique à un public, ça devrait systématiquement s'accompagner d'une éthique de création radicale. C'est aussi à cause de tous ces clones minables qui faisaient du Autechre, du Ryoji Ikeda ou du Fennesz au kilomètre que la musique électronique est moins forte aujourd'hui. Aucun de ces types ne s'est jamais posé la question du pourquoi de la musique qu'ils reproduisent, d'où elle vient, où elle va, aucun n'a jamais ressenti la moindre soif de défricher, d'expérimenter, d'inventer. Ils la copient parce qu'ils la trouvent cool. C'est assez triste. Il y a deux ans, ils se sont tous mis à mettre des samples de hip-hop sur leur electronica. L'année dernière, c'était les guitares folk. C'est quoi, le prochain truc? Le crunk? Le métal? Le retour de la jungle de free-parteux? Ils sont tous déjà morts. Mon prochain disque sera l'évolution logique de ma musique à moi, qui a toujours été à moi. Il sera sûrement le truc le plus électronique, le plus fracturé, le plus épileptique et en même temps le plus terre-à-terre que j'aie jamais fait. Et s'il s'inscrit dans son époque, c'est que je participe à mon époque, pas parce que je la suis à la trace.

Tu cites Thomas Pynchon et fait référence à David Foster Wallace comme référence permanente des morceaux de "Hello Spiral". Est-ce que tu peux nous parler de ces livres, et expliciter la relation qu'ils ont avec ta musique ? Influence de composition (de structure), de fond ?

J'ai totalement conscience de la manière dont une référence littéraire en musique peut être perçue. C'est une tarte à la crème dangereuse, et souvent méprisable. Pourtant, je n'ai pas vraiment eu le choix. Les livres de ces deux écrivains, tout comme ceux de William Gaddis, ou les concepts de Foucault, Isou, Deleuze, m'ont profondément modifié, en tant que personne et musicien. Citer Pynchon et Foster Wallace, c'était une question d'honnêteté intellectuelle, sinon, j'aurais eu l'impression de les utiliser et des les voler sans expliciter mes sources (je leur ai volé des mots, littéralement). Plus haut, je te parlais de cette envie de créer des ensembles sonores, des "tout" musicaux complexes dans lesquels l'auditeur aurait l'impression de se perdre, de ne pas voir les limites ou la nature de ce qu'on lui donnerait à entendre. De lancer des pistes sans origine, des fausses pistes et des vraies, d'établir des connexions infinies, de mélanger les niveaux de réalité sans en avérer aucun. Tout ça provient directement des romans Pynchon et Foster Wallace. Outre leur travail critique et presque théorique sur l'information et sur la nature multiple du réel, leurs livres, de par leurs formats souvent démesurés, leurs récits serpentins, chaotiques, indénombrables, et leur langue saturée, s'apparentent à de véritables mondes dans lesquels se perdre, où rien n'est avéré, où aucun repère n'est plus fiable et avéré qu'un autre. Leur lecture est tout à fait parasitante, elle te sollicite presque intégralement. Pynchon est mon artiste préféré, toutes formes d'art confondues. Et je lisais "Infinite Jest" de Foster Wallace, notamment (qui est exactement ce que son titre dit, une blague infinie, interminable, de près de deux mille pages) en terminant "Hello Spiral". Ils ont donc tous les deux, essentiellement, structurellement et thématiquement, imprégné le disque. Je ne saurai d'ailleurs dire s'ils ont influencé ma manière de concevoir et penser ma musique, où s'ils ont juste confirmé mes velléités et mon instinct. David Marx, un musicien américain qui vit à Tokyo (et qui tient un blog fascinant, http://neomarxisme.com/), m'a récemment dit par e-mail que mon disque était le plus "pynchon-esque" des disques qu'il avait écouté. C'est le plus beau compliment qu'on m'ait fait jusqu'à maintenant. Après, il faudrait que j'arrête de parler de toutes ces choses théoriques, je vais continuer à effrayer tout le monde. Ma musique n'a pas une once de théorie en elle. Les mots auront ma peau. Je fais de la pop, de la dance music, je rocke.

Interview par Guillaume
le 18/03/2005

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