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La Bande Des 4

: Interview avec La Bande Des 4




Comment définis tu l'idée, la volonté qui sous tend ce projet " La Bande des 4 " et l'album " Hors de contrôle " qui en découle ?


D'abord, le but était d'essayer de produire un bon disque ! Ensuite, en ce qui concerne l'identité, on avait envie de ramener le hip hop à une dimension de musique de contre culture, c'est à dire une musique qui soit le relais de certaines sensations, de certaines idées et qui s'inscrivent en contradiction avec un mode culturel établi dans lequel le rap, en tout cas dans sa version " industrielle ", s'enlise de plus en plus.


C'est retourner un peu à l'essence du hip hop ?


D'une certaine manière oui et plus largement peut être à une essence plus musicale qui a été mise de coté, au profit d'intérêt et d'impératifs économiques et commerciaux


Est ce là la raison pour laquelle vous avez choisi de réaliser un album instrumental ? Les voix qu'on y entend sont en effet des samples de films, d'émissions radio ou de témoins, lors de manifs par exemple, mais pas de Mc.


Au départ, l'idée d'origine quand on s'est penché sur ce projet de la Bande des Quatre, c'était de faire un album de hip hop " classique " (production sur lequel pose des Mc's) et puis très vite, pour plusieurs raisons on s'est orienté vers un projet instrumental. Travailler de l'instru, dans le sens où nous on l'entendait, c'était s'inscrire vraiment et pleinement dans cette approche et ne pas avoir juste une compilation de titres différents. L'idée était que ce projet soit à lui tout seul un voyage, le but étant d'emmener l'auditeur dans un univers qui serait propre à la Bande des 4.
Le fait d'y inclure des jingles avec ces montages sonores, tout ces bidouillages, cette recherche d'archive ..., c'était aussi afin d'amener un certain point de vue et c'est pour ça qu'on a insisté sur ces trois jingles (" Quelques éléments de notre histoire ", " D'autres éléments de notre histoire " et " Quelques enseignements de notre histoire "). De la même manière, les éléments qui ont constitués les deux autres petits jingles (" La musique est mon occupation ") permettaient ainsi de réinscrire dans une culture beaucoup plus globale, la tradition de la musique de contre culture en revenant à ces racines, que sont (notamment) le blues.


Justement, tout au long de l'album sont retracées quelques heures de l'histoire française, et sans doute pas les plus glorieuses (collaboration pendant la seconde guerre mondiale, guerre d'Algérie et évènements d'octobre 1961, mai 68, lutte contre la double peine ...), mais aussi au niveau international (mouvement indépendantiste, Palestine, Irlande, mouvement black durant les seventies aux USA ...) et l'ensemble donne un aspect hyper réaliste à l'ensemble par cette omniprésence de témoignages. Ca peut sembler paradoxal de vouloir revendiquer un message avec force en produisant un album d'instrus.


En fait, on est un peu obligé de composer avec la situation. Quand on a décidé de se lancer dans un projet instrus, à un moment si on veut lui donner du propos, il faut faire avec les éléments qu'on a donc, effectivement, on a fait un gros travail de recherche dans les archives. On avait envie de porter un autre regard sur l'histoire du XX ième siècle.
On faisait par ex tout à l'heure référence à la seconde guerre mondiale, le visage qui en est montré ici, ce n'est peut être pas l'image d'Epinal qu'on nous a souvent décrits. On explique que la France, au delà des résistances qu'il y a eu, a quand même été un des collaborateurs les plus assidus du 3ième reich. Que la guerre d'Algérie c'est aussi des zones d'ombre comme le 17 octobre 61. Qu'on est conscient que, pas loin de chez nous, des peuples sont en lutte comme les irlandais et même au sein de notre territoire, les basques. On fait aussi référence aux luttes au début des années 80 dans les banlieues, il y a aussi ce clin d'œil à la lutte du peuple palestinien ... toutes ces luttes, toutes ces manifestations de lutte sont des choses dans lesquelles on s'inscrit délibérément.


Votre album sort chez Assassin Productions, symbole d'un rap engagé et revendicatif, loin des clichés gangsta (ou pseudo gangsta) traditionnels : selon vous, rap se DOIT d'être militant ?


Il y a deux choses dans cette question : le hip hop c'est une culture d'émancipation, c'est pas ces clichés de gangsta etc ... Tout ceux qui prétendent être dans une dimension hip hop et qui se font les relais de tout ça sont complètement à l'ouest. Je différencie complètement la culture, le mouvement hip hop et la scène rap, le rap dans sa version industrielle. Maintenant, la question qui se pose est, " est ce qu'il y a eu à un moment donné un vrai mouvement hip hop capable de réagir par lui même et par ses structures ? ". De toute façon, c'est une question qu'il va falloir se poser aujourd'hui parce que vu la tournure des évènements en ce qui concerne le commerce du rap, il va désormais falloir faire preuve d'une assez grande inventivité pour pouvoir exister.
Seconde chose, le rap ne se DOIT pas d'être militant, il peut être ça comme il peut être plein de choses, mais en tout cas dans son essence, il a cet aspect " pratique de contre culture ". C'est à dire qu'il n'est pas nécessaire de véhiculer un discours politique et très marqué à partir du moment où, dans les faits, les acteurs de cette culture sont dans cette dimension de réaction à un modèle culturel établi. Ce qui a fait la force du hip hop au début des années 80, c'est qu'il se proposait de tout redéfinir (par exemple le graffiti, une manière de redéfinir l'espace urbain et d'y imposer de nouvelles couleurs, la danse comme façon de redéfinir le rapport à l'espace et au corps, la hip hop musique au travers des platines, en tant que ré-appropriation de la musique qui se faisait au préalable avec des instruments). Le hip hop c'est tout ça. Apres, ça peut être du divertissement, ça peut être populaire, ça peut être politique mais ce n'est pas exclusivement politique. Je pense que l'essentiel, c'est justement le rapport que chacun a sur sa pratique culturelle.


L'ambiance générale de l'album est plutôt noire, affichant des visions presque " apocalyptique ", " Mad Maxienne " (cf. l'intro notamment avec cette voix qui ressemble à s'y méprendre à celle du narrateur des Mad Max) ... vous êtes pessimistes ? quel est votre avis sur l'avenir et sur le devenir des générations futures ?


C'est évident qu'il y a un coté un peu apocalyptique dans cet album, en tant que reflet de l'époque actuelle : c'était un choix délibéré d'emmener cette joyeuse comptine qu'était devenu le rap français à quelque chose de beaucoup plus sombre et de plus hardcore. Il est quand même assez difficile aujourd'hui d'être optimiste quand on voit ce à quoi on assiste.


Et vous pensez que ce genre d'albums puisse participer à une certaine forme de prise de conscience (toute proportion gardée bien sûr) ?


On sait qu'on va pas changer le monde avec un album et on n'a pas non plus la prétention de réveiller qui que ce soit, les gens sont comme nous, on est pas au dessus d'eux. C'est une oeuvre qui est créée à un moment donnée et elle correspond à l'ambiance de ce début de XXI siècle.


Tout cet ensemble d'extraits de références de multiples styles, (blues, rock 50's, pop, songwriting, rock psyché, reggae, punk, funk, disco, hip hop, new wave ... de Desmond Dekker à Lou Reed, de Muddy Waters au Wu Tang ...), est ce là une sorte d'hommage à la musique et à son évolution au cours du siècle passé ?


En fait il s'agissait un peu de recentrer les choses, ramener le hip hop dans une dimension plus globale, montrer qu'il n'est pas né " comme ça ", qu'il y a un cheminement culturel qui commence avec le blues et qui, à plusieurs moments de cette histoire de la musique populaire, se constitue de croisements entre la musique dite blanche et la musique dite noire. C'est cette histoire qui fait que, au milieu des 70's, le hip hop apparaît et s'impose très vite comme une des formes les plus abouties de cette démarche de contre culture.


Avec des thèmes (musicaux et politiques) tels que ceux auxquels vous empruntez, on pourrait tout à fait imaginer une performance live avec la participation d'un Vj (Video Jockey) par exemple ... non ?


On a pensé que si ce projet devait voir le jour sur une scène, il faudrait trouver une alchimie assez parfaite entre sons et images, parce que cet album de la Bande des 4, c'est un peu une bande son et même si on est pas forcement prêt aujourd'hui, c'est comme ça qu'on envisage les choses. L'idée serait de marier sons et images afin de transporter l'auditeur / spectateur dans une dimension complètement nouvelle en terme de conception d'un spectacle. Mais n'étant pas prêt, on préfère ne pas y aller pour l'instant.


Quel est votre sentiment à propos de la scène française actuelle ? il y a quand même quelques groupes que vous kiffez ?


Il y a quelques trucs que je trouve intéressant sur la scène française en effet mais, globalement, je trouve qu'on touche quand même pas mal le fond. C'est, je pense, lié aussi à l'histoire de cette scène en France, les choses ne se sont peut être pas passées comme elles auraient dues. C'est peut être un peu trop vite parti dans des choses industrielles et show bizness alors qu'une période d'apprentissage réel, de création de réseaux, de structuration d'une scène, d'un mouvement, d'un courant ... auraient sans doute permis de consolider cette histoire et d'imposer aux acteurs une solidité artistique. On a eu un peut tout et n'importe quoi pendant dix ans, aujourd'hui on arrive un peu au bout et il va falloir, je pense, repartir à zéro, repartir comme en 90, compter sur les labels indépendants, être très inventif artistiquement et très perspicace quand à la distribution de nos productions.
Mais pour répondre à la question, en terme de propos et d'attitude, j'apprécie assez Kalash, Oxmo ou La Rumeur. En terme de production, l'album de Triptik (ndr : TR 303) qui est sorti récemment est assez sympa et bien foutu mais, globalement, il n'y a pas un truc qui me retourne franchement. Je trouve même l'ensemble plutôt ennuyeux.


Et au niveau international, de quels groupes vous sentez vous les plus proches ?


Même la scène américaine, où il y a pourtant une certaine qualité, peut être plus présente que sur la scène française, globalement je trouve que, là bas aussi, ça tourne pas mal en rond. Le coté indépendant et " spé " y est peut être plus qualitatif et plus marqué là bas : on arrive à avoir d'excellentes productions sur les labels indés ou sur les différentes scènes (NY, San Francisco ...). C'est je pense vers ça qu'il faut qu'on tire en France mais pas du bluff, vraiment de la qualité c'est à dire des Mc's qui tuent, des producteurs qui tuent ... J'ai l'impression que toute la scène dite décalée ça vit un peu sur une espèce de bluff général qui n'est pas encore au niveau de nos confrères américains.


Quel est ton avis sur les plaintes portées contre des groupes tels que La Rumeur et C........I (groupe punk que l'on ne peut citer, son nom même étant sous le coup de poursuite de la part de la justice française) ? Coup d'esbroufe de la part de groupes en mal de notoriété ? véritable atteinte à la liberté d'expression ? (encore un) coup de zèle du ministère de l'intérieur ? ... vous vous en foutez ?


Non, on ne s'en fout pas du tout. Je pense qu'ils sont pris dans une situation particulière. On assiste quand même à une sacrée radicalisation de la part du gouvernement depuis quelques temps. Le gouvernement Chirac / Raffarin / Sarkozy c'est pas un gouvernement très tendre même si je pense que ça aurait été la même avec un gouvernement de gauche. En terme de radicalité économique, politique, tout doucement, on entre dans une espèce de quadrillage policier de la société sans que l'on puisse réellement en parler ... Tout ça c'est la preuve qu'on a pas le droit de dire certaines choses, même s'il s'agit de la vérité et qu'il y a des corps professionnels ou institutionnels qui sont au dessus de nous apparemment ...
Il s'agit là d'une criminalisation de certains acteurs culturels et qu'il faut vraiment réagir et être aux cotés de ces groupes parce qu'on ne peut pas laisser passer des choses comme ça, sinon c'est la porte ouverte à tout. Ca nous touche donc en tant qu'artistes mais aussi et d'abord en tant que citoyens.


Ce désir de rester très flou sur l'identité réelle des membres de la bande des 4, est ce afin de garder tout l'impact du message sans que rentre en compte question des " ego " de chacun, une volonté de s'effacer face au message ? ou simple " choix artistique ", comme une habitude d'avancer masqué ?


C'est un peu tout ça oui en effet et puis un coté mystérieux et complot qui nous amuse. Face à la starification ambiante où pour un pet de travers certains pensent qu'ils doivent avoir un article dans les journaux, nous on préfère prendre le contre-pied de tout ça. La solidité d'une histoire comme la nôtre repose surtout sur le fait qu'il y ait un minimum de constance dans notre démarche.



Interview par Oropher
le 23/02/2004

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