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Buck 65

: Interview avec Buck 65



L'homme dont on parle partout en ce moment nous avait accordé une interview décontractée
à La Route du Rock cet été, le lendemain de son show impressionant de théatralité débridée.

Qui est est-il ?
Q
ue nous veut-il ?
Qu'a-t'il à partager avec nous ?
Que lit-il dans le train ?
Aime-t'il le cinéma et les animaux de compagnie en milieu rural ?

Autant de questions qui ne resteront pas sans réponses grâce à ces quelques lignes.

Canadian kicks ass !

Pour commencer, étant donné que nous ne sommes pas familiers avec l'univers fictionnel de tes chansons à cause de la barrière de la langue, pourrais-tu nous décrire les histoires que tu racontes, quels-sont les personnages que tu mets en scène etc...


Le monde que je représente et que je décris est assez similaire à celui dans lequel j'ai grandi étant jeune. C'est un monde rural, campagnard. C'était une petite ville qui s'appelle Mount Uniacke en Nouvelle Ecosse , un peu loin de tout, et la plupart des gens qui y vivent sont pauvres. Nous faisions tout notre possible pour éviter de nous ennuyer. Beaucoup de gens ont vraiment peur d'être pauvre, surtout de nos jours, mais ce qu'il y a de pire dans la pauvreté c'est peut-être l'ennui. Beaucoup de gens pensent qu'en étant pauvre, tu perds ta dignité et je pense que c'est totalement faux. Et quand je parle des gens qui vivent là où j'ai grandi, j'essaye de leur rendre leur dignité et de révéler leur beauté et celle des lieux où ils vivent. J'aime particulièrement parler des personnes âgées, qui ont vu et vécu tant de choses, qui ont tant de sagesse de par leur expérience et leur connaissance de la vie. J'aime décrire aussi la vie de ces personnes qui ont des métiers à bas salaires et révéler la poésie de ces métiers et comment ils peuvent être artistiques à leur manière, comme dans cette chanson de mon nouvel album dans laquelle il y a ce cireur de chaussures dans une gare. Mon grand père était concierge dans un lycée après avoir été Clown dans les rodéos. Ce monde est donc peuplé de gens que j'ai croisé et de certaines expériences que j'ai vécues en voyageant aux quatre coins du monde et en rencontrant ce type de personnes à qui je peux m'identifier, on les retrouve dans ma musique. Et à partir de là, puisque je passe beaucoup de temps à voyager, la seule chose que je peux savourer dans mon temps libre est de lire et de regarder des films, puisque je suis un amoureux du septième art, mais ce n'est pas " la réalité " non plus, il y a beaucoup d'imaginaire. Donc j'aime m'évader par les livres, j'aime les histoires qui parlent d'expériences auxquelles je peux aussi m'identifier, bien qu'elles ont été écrites dans des sociétés et des pays éloignés. J'apprécie particulièrement la littérature russe, les histoires à propos de gens pauvres qui racontent comment ils se battent pour survivre et qui essaient de se construire une vie malgré cela. C'est la même chose avec les films, j'ai peur parfois de perdre une certaine conscience de la réalité, et mes proches se font aussi du souci pour moi à ce sujet. Ce " métier " est tellement accaparant, ça va tellement vite tous les jours, que ça m'inquiète de savoir comment je peux rester normal à passer mon temps à écrire des chansons et lire des livres... Mais beaucoup de musique en ressort donc ...


Il parait que tu écris un livre aussi ?


Oui, en effet. Quand j'habitais à Paris, l'année dernière, j'en ai commencé un et j'en ai déjà une version terminée. Mais c'est très inspiré de ma propre réalité, beaucoup des histoires qui me sont arrivées y sont contées, mais je veux en faire un second ou un troisième jet, j'espère l'avoir terminé à la fin de l'année. J'espère que j'aurais la chance de pouvoir le publier car c'est quelque chose que j'aimerais beaucoup continuer à faire dans ma vie.


Tu en as déjà parlé à des maisons d'édition ?


Oui j'ai déjà eu quelques rendez-vous, et certaines ont montré de l'intérêt pour mon travail. J'ai la chance que les gens me connaissent un petit peu grâce à ma musique, ce qui me donne une sorte d'avantage injuste, mais j'en userai ! ! ! J'abuserai de cette position, compte sur moi ! (rires)


Penses-tu à une sorte de projet qui allie littérature et musique dans une même œuvre ?


J'ai parlé de cela à ma maison de disque, d'avoir de la musique qui aille avec mon livre, on en parle effectivement.


Et tu parlais de cinéma. Quels sont les réalisateurs qui t'inspirent ou que tu apprécie tout simplement ? J'ai appris que tu allais mixer dans une salle, pendant la projection d'Eraserhead de Lynch...


Tout à fait, c'est à Londres, il y a une institution qui s'appelle I.C.A et qui organise tout ça, et j'ai hâte d'y être car David Lynch est l'un de mes réalisateurs contemporains favoris avec Jim Jarmusch...


et Cronenberg ?


Ouais, c'est pas un de mes favoris mais j'aime bien ce qu'il fait. J'aime aussi beaucoup Wim Wenders, même si je n'ai pas autant aimé ses derniers films que les précédents. Si on remonte un peu le temps, je pense aux allemands Hertzog ou Fassbinder, il y a un canadien qui est vraiment l'un de mes favoris qui s'appelle Guy Maddin (ndlr : souvent comparé à Lynch pour son goût pour l'étrange), puis bien entendu Truffaut et Godard, Kurosawa...


Ce sont tous des réalisateurs aux atmosphères étranges, avec des histoires relativement compliquées. Pour beaucoup d'entre eux, ils sont réputés pour ne pas être très accessibles et pour intellectualiser énormément leur approche du cinéma. Tu aimes donc les auteurs qui réfléchissent un minimum à la portée artistique de leur travail, plus que ceux qui proposent un simple " divertissement " (sans que cela soit péjoratif) ...


J'aime les films qui progressent lentement, ça ne m'ennuie pas. L'un de mes films préférés s'appelle La condition des hommes et dure plus de huit heures ! C'est très long et lent mais j'adore ce film. J'ai beaucoup de patience. C'est comme avec la littérature russe que j'aime beaucoup, les histoires progressent très lentement aussi. J'ai la patience donc je prends beaucoup de plaisir à les lire. Mais je crois que tous les réalisateurs que j'aime ont cette chose en commun, en effet. Les film hollywoodiens ne m'intéressent pas trop.


On ne te blâme pas !


(rires)


Expliques-nous comment tu fais pour vaincre cet ennui dont tu nous parlais. On te sait très productif, puisqu'il t'arrive de travailler sur deux albums en même temps, tu fais aussi des remixes, comment fais-tu pour abattre autant de boulot en même temps? T'as une copine qui supporte ça ?


nan, j'en avais une et elle est partie entre autres parce que je travaillais trop...


Oups, désolé, j'ai mis les pieds dans le plat...


Nan, ça va t'inquiète pas, en fait je suis vraiment accroc au travail et si jamais j'ai du temps libre, c'est justement ce qui me rend fou. Je ressens ce besoin de travailler tout le temps sinon... (il hésite)


... sinon tu fais une dépression ?


Non, ça prendrait beaucoup de temps libre pour que j'aille jusqu'à faire une dépression, mais si c'est juste un jour ou deux, je deviens agité ou je ne sais quoi. Tu sais, j'écris tous les jours, certaines personnes sont étonnés de voir à quel point je suis productif mais quand tu écris une chanson tous les jours ou tout les deux jours, ça te prend qu'un mois pour écrire 15 chansons, et j'écris tous les jours, effectivement. C'est très naturel et tout à fait normal pour moi. Et il y a ce livre que je suis en train d'écrire, et je lis , je regarde des films et sinon je suis en tournée. Et je joue presque tous les soirs dans ces cas là. Et quand je suis en tournée je retrouve des amis dans le monde entier comme ça et je fais la fête avec eux, et partout ou je vais il y a des filles à emballer et... (rires) Nan , c'est pas tant la fête que ça quand même....


Quelle part de préparation y a t'il dans tes prestations lives ? Comment transcris-tu tes disques sur scène ?


J'essaie d'être aussi théâtral que possible, et j'ai eu cette inspiration par Tom Waits pour être honnête, parce que j'ai vu pas mal de concerts dans lesquels je me suis ennuyé, et quand je vois quelqu'un qui arrive vraiment à faire quelque chose de sa présence sur scène, j'essaie d'apprendre d'eux. Et Tom Waits et peut-être l'un des plus grands à ce niveau là. Et quand tu vois un tel maître, tu ne peut qu'apprendre de lui. Mes personnages sont sûrement très différents de son monde, mais j'ai pris des tuyaux de la part de ces gens que je trouve bon sur le plan scénique. J'ai un groupe avec lequel je joue, mais je peux pas toujours me permettre de les avoir avec moi, donc quand je suis tout seul, j'essaie de faire en sorte que les chansons soient intéressantes pour le public. Mais le plus important et vraiment de construire le spectacle et faire l'animation, ça rend les choses plus amusantes, même en ce qui me concerne. Surtout si tu le fais tous les soirs. Si tu t'assieds là et que tu déroules les chansons passivement, tu deviens fou. Si tu montres que tu t'amuses, et que tu as vraiment envie d'être là, alors ça va être la même chose pour le public et ils vont vouloir rester avec toi. Je ne pense pas à ce que je fais, je répète jamais dans mon coin ce que je vais faire comme mouvements, je vais sur scène et ce qui doit se passer se passe... La nuit dernière, les Yeah Yeah Yeah m'ont vachement inspiré, de voir un tel groupe, complètement hors de contrôle sur scène, "wow" ! Tu vois pas ça tous les jours, c'est dingue !


Parlons de l'évolution formelle de tes albums, tu es revenu à un concept plus " classique ", après avoir sorti Square, composé de 4 titres de 20 minutes.


En fait, sur le nouvel album, il y a quatre parties encore une fois, mais à cause de... Je dirais pas à cause d'une certaine pression, mais Square posait un certain nombre de problèmes pour la diffusion à la radio, donc même s'il y a quatre parties, il y a des sous fragments sous formes d'idées à l'intérieur de ces parties. J'ai fait l'expérience de structurer de véritables chansons avec un refrain et deux ou trois couplets, quand auparavant je ne composais qu'un long couplet. J'ai toujours voulu essayer de nouvelles choses, je ne veux pas faire pareil à chaque fois, je veux donner quelque chose de neuf au public, le surprendre. Mais il y a une autre raison pour laquelle je fais toujours quatre parties, c'est que je réfléchis toujours à l'avance au fait que mon album puisse sortir en vinyle, et quand tu mets un album sur vinyle il y en a toujours deux avec face 1, face 2 , face 3, face 4. Donc pour que ça se case sans problème, je fonctionne comme ça sinon on est obligé de le couper n'importe où, comme c'est arrivé auparavant sur Man Overboard . Ce flot continu de musique est très important pour moi, donc le nouvel album suit la même logique.


Ca veut dire aussi que ta musique est diffusée à la radio, d'après ce que tu me dis. C'est étonnant parce que je connais peu de radios, à part les radios associatives heureusement , qui diffusent ta musique en France. Quelles sont les radios qui te diffusent, en Amérique du Nord ?


Oui, c'est seulement sur les radios universitaires ou, au Canada, sur l'équivalent de la BBC anglaise ; appelée CBC. Eux me soutiennent vraiment bien.


Ils ont de bons programmes indés ?


Ouais, carrément , ils ont des programmes très intéressants qui diffuse beaucoup de musique underground, et de la musique dite " difficile d'accès ", c'est une très très bonne station de radio. Toutes les nuits de la semaine, il y a une émission qui s'appelle " Brave New Wave " qui déchire. Et le Week-End je conseille " Radio Sonic " et " Definitely not the opera " , si vous pouvez les choper sur le web...


Tu as joué des titres de ton nouvel album Talkin'Honky Blues sur scène hier ?


J'ai joué des titres du nouvel album, mais aussi des titres de l'album qui viendra après le nouvel album (rires). J'ai fait qu'une chanson de Square et c'était une version quelque peu remaniée, comme tu as pu t'en apercevoir.


J'ai l'impression qu'il y aura beaucoup plus de guitares sur Talkin Honky Blues ...


En effet, j'ai écrit cet album principalement avec un guitariste. Quand je fais de la musique , je ne pense pas seulement au hip hop, ou comment faire un bon disque hip hop, au delà du genre je veux juste faire de la bonne musique. Quelque chose que j'aimerais faire, mon but ultime, et je ne le ferai peut-être jamais, c'est de faire un album qui prenne une place dans ce genre de liste, que font certains magazines, des albums qui ont vraiment marqué l'histoire. Comme ceux du Velvet Underground, ou Nirvana. Peu importe le nombre d'exemplaires vendus, que cela ait une importance au delà d'un genre. Pas pour l'argent, pas pour être célèbre, simplement faire un album qui plaise aux gens, peu importe le genre de musique qu'ils écoutent.


Tu nous disais tout à l'heure que tu as vécu à Paris ?


Ouais, je viens juste de déménager à Londres. Mais j'aime pas autant que Paris. Je crois que je vais revenir à Paris.


On t'as vu bien intégré à la nouvelle scène hiphop française émergeante, aux cotés de James Delleck pour le projet Gravité Zéro...


J'ai pensé que ça me permettrait de mieux me présenter auprès du public français de collaborer avec des artistes français qui m'intéressent. Ce qui m'intéresserait vraiment serait d'obtenir un remix d'un de mes singles par Mr Oizo, alors j'essaie de le contacter à l'heure qu'il est. Je suis fan de Sébastien Tellier aussi, j'aimerais le rencontrer aussi . C'est toujours plaisant de rencontrer des gens et de discuter d'idées qu'on a ... Et pas seulement autour du hip hop !



Interview par dClem
le 17/08/2003

Tags : Buck 65

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