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Adrian Sherwood

: Interview avec Adrian Sherwood



Resté trop longtemps dans l'ombre des artistes qu'il produisait, Adrian Sherwood a pourtant marqué la production reggae/dub depuis le début des années 80. Il fut le premier à faire de son rôle d'arrangeur celui d'un membre de groupe à part entière en terme de créativité. A titre d'exemple, l'une des ses plus fameuses expérimentation a été de jouer des tracks entièrement à l'envers !
En affirmant la place de l'ingénieur du son, il fut tout naturel pour lui de songer à produire ses propres morceaux et ce jour de grâce est arrivé avec la sortie de l'album " Never trust a hippie " sur le label de Peter Gabriel " Real World ". Nous l'avons rencontré à cette occasion afin qu'il nous parle de la genèse de son album et nous devons reconnaître que nous avons été bluffé par la gentillesse du mec. Surtout qu'avec la gueule de bois qu'il tenait d'avoir fêté son anniversaire la veille (c'était le 20 janvier, pour ceux qui veulent lui écrire une petite carte), il a été accueillant, loquace et s'est même payé le luxe de rire à nos vannes (ce qui a du lui coûter !).
Nous retiendrons donc comme un grand souvenir et un exemple à suivre notre rencontre avec ce pionnier à l'éthique inaltérable et au cœur gros comme ses machines.

Après avoir produit pour les autres pendant près de 15 ans, comment se fait-il que tu ne sortes ton premier album solo que maintenant ? Est-ce que c'est quelque chose que tu avais prévu depuis longtemps ou est-ce que c'est une envie récente ?


Il y a environ quatre ans, j'ai été contraint d'arrêter mon label " on-u sound ". Pour tout te dire, c'était à cause de problèmes financiers, que j'ai résolus depuis, et je le relance en ce moment avec une compilation appelée " Chain store massacre ", sortie dans les bacs ce mois-ci (janvier) en France et qui se vend au prix de huit ou dix euros, c'est à dire au prix d'un single.
Ces quatre dernières années, j'ai travaillé pour différentes personnes mais je n'ai sorti aucun nouvel album. J'ai eu plusieurs projets sur de nouveaux disques et c'etait vraiment du putain de bon son.
Pendant quatre ans, j'ai aussi fait des lives dans des clubs, avec la collaboration d'un ingénieur du son et d'un MC, à l'aide d'une table de mixage, de certains de mes propres expandeurs pour produire des sons, de platines et de multi-effets. C'est comme ça que j'ai décidé de faire quelques enregistrements, destinés aux sound systems. En fait, à chaque fois que je mixais, c'était sur du son que j'avais moi même conçu. Et bien sûr, le tempo des morceaux se devait d'être assez rapide pour que les gens puissent danser dessus.
Pendant cette période, j'ai été contacté par REAL WORLD pour remixer les " Temple Of Sound ".. Je leur ai proposé un ou deux morceaux et ils m'ont dit " Ecoute, on a déjà un album avec ce groupe, que penses-tu de travailler sur d'autres artistes du catalogue et d'en faire un album de remixes à la " Adrian Sherwood ". J'ai alors demandé pas mal de titres du catalogue mais je n'ai finalement pas pu les exploiter soit pour des raisons religieuses, soit parce que certains artistes ne voulaient pas êtres remixés. Alors je leur ai dit : " Pourquoi ne pas me laisser faire un disque qui corresponde plus à mon son ? " . J'avais déjà commencé à couper et séquencer quelques grooves qui donnaient un son terrible et j'avais Sly &Robbie chez moi. Je leur ai fait écouter et ils ont été scotchés, ils m'ont dit qu'ils adoraient. Et je dois reconnaître que les gars de REAL WORLD ont vraiment été cools. Ils m'ont laissé bosser dessus, en me faisant comprendre que je pouvais faire ce que je voulais. J'ai alors continué à travailler sur une vibe qu'on m'avait commandée alors que je bossais avec de très bons producteurs jamaïcains comme Lenky, qui a beaucoup de succès en ce moment., Sly & Robby et Jaswad et sur plein d'autres choses que l'on a fait nous-mêmes en jouant directement sur des pistes avec des rythmes en boucle. Et c'est comme ça que l'album s'est fait ! Ce qui devait être un travail en faveur de quelqu'un d'autre est devenu de fil en aiguille mon premier album solo !


On a trouvé que certains de vos sons et featurings étaient plutôt " exotiques " et originaux et que l'album recèle en fait des petits trésors apparentés à de la World...


C'est vrai mais j'aime pas trop l'étiquette " world music ". J'ai des samples de différents pays que j'ai toujours utilisés sur mes disques de toute façon. Par exemple le 2ème titre de l'album ( Hari up Hari ), le chanteur indien est un ami que j'ai enregistré chez moi, sur d'autres il y a mes filles qui chantent... Ce n'est pas aussi original que tu le dis. C'est de la world music en quelque sorte mais finalement pas vraiment.. Ce qui est peut-être original, c'est plutôt ma façon d'utiliser les voix comme des instruments, tu sais, comme un bon chanteur dont la voix est de toute façon un instrument unique. J'ai donc utilisé la voix d'Hari, certains choeurs que j'ai insufflés par ci par là. Et j'ai eu la chance que la partie chantée en anglais par Ghetto Priest qui fait : " I'd rather light a candle than to stay in darkness " sur le titre Dead men don't smoke Marijuana, ait une accroche particulière, comme une coloration.


Ouais, comme un coloriste de bédé par exemple ?


(rires) Oulà, ouais, chouette !, comme une bédé ! Non, heureusement que j'ai pas eu à toucher à un crayon et faire ce genre de truc ! Nan, c'est comme une touche de couleur, comme un instrument, c'est comme ça que je le conçois en fait.
 
Tu m'as dit que tes filles, Denise et Emily chantaient sur certains titres, comment vous en êtes venus à ce qu'elles participent ? Vous jammez en famille au sous-sol après le goûter ?


Nan, déjà, le studio est pas au sous-sol (rires)... Ma fille aînée est très bonne musicienne, et la petite a que 6 ans, mais elle se débrouille bien, elle s'entraîne à chanter à l'aide d'un piano et fait ce genre d'exercices. Elle va bientôt commencer à prendre des leçons de piano. Elle a une très bonne petite voix.
Au début j'ai commencé à enregistrer Denise quand elle avait cinq ans, elle a eu dix-huit ans la semaine dernière et elle chante maintenant sur l'abum de Gary Clail. Elle est aussi choriste sur l'album de Ghetto Priest. Elle va vraiment faire des bons trucs... Elle compose déjà ses propres chansons. Mais pour le moment elle étudie la musique à " Community Music " d'où viennent les membres d'Asian Dub Foundation. Elle passe deux jours par semaine à cette école...


Elles aiment aussi le Dub ?


Denise a grandi avec Lee Perry et d'autres mecs comme lui qui passaient souvent à la maison, alors elle pensait que tout le monde était comme ça et que tout était normal. Donc, elle connaît bien son son. Mais sinon elle aime ce que les autres jeunes de son âge écoutent : de la jungle, de la drum & bass, du speed garage. Elle aîme Alicia Keys, tous les meilleurs trucs de R'N'B des Etats-Unis, du bon hip-hop...


Elle écoute Miss Dynamite alors ?


Ouais, Miss Dynamite est fantastique, c'est une des plus grandes artistes britanniques à ce jour, elle adore aussi...
Et sinon elle aime aussi certaines de nos compos, et des titres de Bob Marley, Buju Banton... Elle a grandi avec le reggae mais des chanteurs souls aussi, on passait du Bobby Blue Bland à la maison, certains sont vraiment bons !


Tu lui prédit un grand avenir dans le milieu alors ?


Ben, c'est pas à moi de spéculer là-dessus, tu sais, du moment qu'elle étudie la musique et qu'elle y prend du plaisir. Elle est assez douée pour donner des leçons maintenant. Elle joue du classique au piano, de niveau " 8 ", ce qui est un haut niveau. Mais si elle continue ses efforts, je sais pas si elle enseignerait, mais elle pourrait faire quelque chose dans la musique.
 
Elle pourrait produire des disques à ton instar ?


Ouais elle pourrait faire plein de choses, mais tu sais, elle pourrait taper à la machine ou bien être vendeuse dans un putain de magasin de chaussures, j'en serais ravi, du moment qu'elle fait ce qui lui plaît. Mais je pense qu'avec son bagage musical, la musique est en elle, et avec un peu d'effort, elle pourrait nous aider avec notre petite " entreprise familiale "...


Et la petite ?


Tu sais, c'est une petite fille de six ans... Elle aime chanter... jouer du piano...


Ouais mais est-ce qu'elle aime ta musique ?


Elle aime les chants de Noël, les petites chansons pop ... Et j'ai un fils aussi, qui s'intéresse pas trop à la musique.


C'est vrai ?


Ouais, ce qu'il kiffe lui c'est le bruit ! ! ! Il écoute du hip-hop, du rap, tout ce qui est un peu agressif, avec pleins de bruit et des coups de feu ! Et il préfère le foot, plus que la musique...


Pour en revenir à ton album, est-ce que tu en as profité pour te servir de tes découvertes en tant que producteur et designer de son ? Est-ce que t'as pris cette opportunité comme un espace de liberté en faveur de techniques d'enregistrements refusées par d'autres artistes ? J'imagine que ça t'as soulagé de ce genre de frustrations ...


Oui, c'est vrai que j'ai vraiment pu faire ce que je voulais avec cet album, je n'avais pas à consulter qui que ce soit. J'aurais pu faire un album plus noisy, comme à mes débuts, comme Mark Stewart, et ce qu'on faisait avec Tackhead... Comme ce que j'ai fait avec Ministry, Nine Inch Nails, ce style là , que j'aime bien, tu sais avec un bon groove... J'aurais pu faire un disque de ce style, mais c'est avant que je me mette à faire " Never trust a hippie ", avec une couleur et une direction spécifique qui le font sonner comme une œuvre particulière. D'autre part, Je pense que ce ne serait mal venu de ma part que je " sur-produise " le travail d'un autre artiste, pour qu'on y reconnaisse une production " à la Adrian Sherwood ". Mais il s'avère que j'arrive tout de même à produire à ma façon, et que ça va là où je veux aller sans pour autant " sous-produire " . Comme sur le dernier album d'Asian Dub Foundation que j'ai co-produit, où vous pouvez entendre ma " patte " sur certaine tracks plus que d'autres.


T'as pas voulu te lâcher et mettre le paquet ?


Non, non, ça aurait été mal venu de ma part. C'est leur album et justement je ne me suis pas lâché de façon tout à fait délibérée. Ils ne sont pas sur mon label et ils m'ont offert de travailler avec eux, je me dois de respecter ça !


Ouais, puis tu peux toujours les remixer...


Exactement, t'as tout à fait raison... mais déjà, ils ont accouché d'un album vraiment solide. On dirait eux en live... Tu sais leurs concerts ont toujours été fantastiques, et l'énergie qui en dégageait n'a jamais vraiment été mis en valeur sur leurs disques.


Si on en vient au titre de ton album " Never trust a hippy". Qu'est-ce que t'as voulu dire ? T'as eu des problèmes avec des babs ? Je crois que j'ai ma petite idée là-dessus en plus...


Non, c'est simple, si tu regardes comment Microsoft, ou plutôt Bill Gates, a commencé. L'image de lui nous sussurant doucement à l'oreille " ayez confiance, nous sommes l'avenir radieux " ou les hippies dinguos avec des sandales à la Jesus Christ que tu retrouves à vendre de la coke, ou à s'éclater sur la plage avec des armes à feu, histoire de faire semblant de faire un carton. Mais le pire putain de truc en ce moment, on a le premier républicain à être devenu premier ministre en la personne de (ndlr : avec un ton de dégoût !) Tony Blair. Ou encore Paul Mc Cartney... ou ce putain de Richard Branson...


Ouais, c'est à lui que je pensais ! Mais attends, t'es sûr qu'il y a pas de micros ici ? ( ndlr : l'interview a lieu dans les locaux de virgin France !)


(rires) Ben tu sais, j'ai croisé Richard pas mal de fois, je le connais bien ... Ou bien Jeff Travis et ce genre de lascars (il imite Richard Branson avec une voix de dédain) " Je suis vraiment froid avec toi et je te regarde bien de haut "... Et aussi, peut-être que Bill Gates se cache en ce moment même dans un bunker je ne sais où, avec une armée de gardes du corps autour de lui tandis qu'il est traîné en justice par le gouvernement...
Le plus marrant, c'est que j'ai donné ce titre à mon album en le sortant sur le label REAL WORLD (ndt : " le monde réel "), et on a trouvé ça plutôt marrant avec les mecs du label. Eux aussi ils se sont marrés ! Mais il y a beaucoup de hippies à REAL WORLD aussi ! ! ! (rires)


Pour en revenir à ta collaboration avec Asian Dub Foundation (qui ont fait beaucoup de compliments au sujet de ton travail ), dans quelle direction as-tu fait évoluer leur son ?


Ils sont vraiment talentueux, ça m'a vraiment plu de travailler avec eux. En fait, une transition s'est opérée au moment ou leur chanteur a quitté le groupe, et deux nouveaux MCs de Invasian, Aktarvata et Spex ont rejoint la formation. Ils déchirent, ils ont un flow incroyable.
Ils ont aussi agrandi leur formation en live et ont un batteur maintenant, qui s'appelle Rocky Singh, et un joueur de dohl nommé Pritpal Rajput. Alors leur son a changé et mon rôle était d'harmoniser l'ensemble... le synthétique avec l'acoustique, la boîte à rythme avec le batteur, par exemple. Et incorporer cela est très compliqué parce que sur le plan sonore ça fait un peu sec au départ. Alors le gros du boulot tenait en ce travail d'harmonisation des sons. On a aussi commandé une nouvelle basse pour le bassiste qui est gaucher, parce qu'il jouait avec une très vieille basse un peu " cheap " , qu'il a gardé des années parce qu'il se sentait bien dessus. Et elle fonctionnait très bien. Mais c'était pas vraiment suffisant donc on a travaillé à rendre la basse plus forte et plus présente. On s'est ensuite attaché à insérer la boîte à rythme, non pas sur tous les titres, mais par petits morceaux, de sorte que ça soit plus " progressif ".
Et plus que tout nous avons fait en sorte que l'esprit au sein du groupe soit au top... Parce que généralement, quand tu entres en studio avec un groupe, les mecs se disent " ouais, c'est une bonne occase de s'asseoir dans un coin et de fumer des spliffs pendant trois mois ! Ou pour rien branler et faire la fête... C'est ce qui arrive à beaucoup de groupes, aussi parce que c'est un partage d'enthousiasme et de joie. Ils n'ont pas la tête à bosser réellement. Ce que j'ai appris de Lee Perry, c'est que quand t'as un groupe en studio, Il faut les faire s'amuser, dans un bon esprit, pour qu'une certaine magie puisse en découler. Ca a été notre démarche pour faire cet album, en pensant bien qu'il fallait intégrer 3 ou 4 nouvelles personnes car nous avions quelques invités pour des chants. On a fait en sorte que tout le monde s'amuse et qu'il en ressorte une dynamique de travail. Et enfin, nous essayions d'avoir les sons qu'il fallait pour que ça soit du ADF en live !


Et à présent, tu réfléchis à d'autres collaborations ?


Vraiment, je serai toujours heureux que qui que ce soit me demande de travailler avec lui, parce que c'est un privilège d'être demandé par quelqu'un. Par contre je fais attention de ne pas mener trop de projets à la fois. Pour l'instant je relance mon label, et je vais m'occuper de la promo de mon album. Et je veux soigner mes prestations live, avec un ingénieur du son derrière moi... Je veux être sur scène avec un Radar (studio d'enregistrement multipistes digital conçu pour le live), avec les visuels d'intensités sonores visibles sur l'écran par les spectateurs, et des images qui flashent...


Une sorte de show V.J ?


Ouais, c'est ça et bien sûr avoir un MC, Ghetto Priest, un percussionniste / batteur, Eskimo Fox, sur les planches avec moi. Ca va être une tuerie ! J'aimerais vendre quelques albums pour pouvoir me permettre de faire ça.


Pour finir, que connais-tu et que penses-tu de la scène française de Dub ?


Euh, je connais Dub Action, People Of The Herb (sic ! ! !), Massilia Sound System... Ouais j'en connais quelques-uns.


Personne avec qui tu aies envie de travailler ?


Je travaille déjà avec Samia Farah, qui est vraiment bien de ce que j'ai pu entendre, mais c'est la seule chanteuse avec qui j'ai travaillé pour l'instant. Sinon, j'ai aussi bossé avec Frenchy, le producteur (ndlr : de Raggasonic)


T'aimes bien ce qu'il fait ?


Ouais, son son est très jamaïcain, lui-même est blanc mais il est plus noir que blanc en fait. Ce qu'il fait est plus dansant, moi c'est plus... tordu ! (rires).



Interview par dClem
le 14/01/2003

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