The Necks

Une année seulement après l'album en demi-teinte Unfold, le trio australien revient à sa formule de prédilection avec une nouvelle composition mastodonte avoisinant une heure et emplissant ainsi la totalité de leur dernier opus. Parler de "formule" dans leur cas serait d'ailleurs faire fausse route tant la musique de The Necks ne peut se réduire à cela et se situe ailleurs, insaisissable. Point de formule chez eux donc mais plutôt une musique hors-format cherchant toujours à s'extirper de ses références bien digérées — le jazz et la musique répétitive bien sûr mais tant d'autres inspirations contemporaines également — afin d'atteindre in fine l'état de transe. Cependant, si la destination reste la même, les chemins empruntés pour y accéder se font de plus en plus tortueux au fil des albums (Silverwater en 2009, Open en 2013 et Vertigo en 2015). Qu'en est-il aujourd'hui ?

Body démarre abruptement, tel un Rum Jungle (le morceau ouvrant Mindset en 2011) dans lequel tous les éléments seraient ordonnés et réglés entre eux comme une horloge suisse. La basse profonde de Loyd Swanton prend la forme d'un battement de cœur dont le pouls régulier va irriguer au mieux les autres organes, à savoir les coups de cymbale ride métronomiques de Tony Buck et les errances pianistiques de Chris Abrahams. Si Body est un corps, alors il est droit dans ses bottes et surprend autant par son dynamisme que par la clareté de son jeu. Ce dernier se rapproche en effet plus des prestations live du groupe que des structures alambiquées (mais passionnantes) que peuvent endosser leurs dernières compositions en studio. Pas de sinuosités étranges ou de motifs en surimpression ici mais plutôt une poignée de blocs distincts s'articulant autour d'un noyau explosif à base de rugissements soniques et de rythmique motorik. Ce n'est finalement pas si étonnant d'entendre du krautrock chez The Necks, le trio étant toujours à la recherche de nouvelles sonorités pour alimenter son univers où la répétition est reine tant qu'elle emmène à l'extase.

Si le groupe semble donc nous donner sa version du krautrock, il nous offre peut-être aussi avec Body sa version d'une certaine famille du post-rock. Dans sa construction relativement plus classique d'accalmies précédant et succédant un pic de violence électrique, cette nouvelle composition rappelle certainement plus que toutes les autres les montagnes anciennement sacrées de Godspeed You Black Emperor et consorts. Body arrive comme une piqûre de rappel à un moment où le phénomène post-rock s'est largement essouflé et semble n'être qu'un lointain souvenir, impression en partie confirmée par la reformation décevante de Godspeed. The Necks évite pour sa part de retomber dans ces schémas éculés de crescendo / decrescendo pour ne retenir que la puissance émanant du son et de ces incantations répétées ad libitum pour atteindre cette fameuse transe tant convoitée. On pense alors à Swans, groupe ayant su redorer magistralement le blason du genre à sa manière (les albums The Seer en 2012 et To Be Kind en 2014) avant de splitter pour de bon récemment.

Plus direct et "accessible" dans la riche discographie des Australiens (une vingtaine d'albums en près de 30 ans), Body n'atteint peut-être pas les hauteurs de certains de ses prédécesseurs mais, de son aube quasi chamanique à son magnifique crépuscule, n'en reste pas moins une porte d'entrée idéale aux nouveaux arrivants autant qu'une énième confirmation de l'écart séparant le groupe de ses pairs dans le milieu de certaines musiques instrumentales.