Plasticien pluridisciplinaire dont le cinéma n'est finalement qu'un médium parmi tant d'autres; cinéaste moins narratif que purement sensoriel dont les films confinent à une lente immersion vers un fantastique étrange voire étranger à notre monde; artiste contemporain majeur trouvant peut-être son inspiration dans ses séances quotidiennes de méditation transcendantale : le portrait ainsi brossé semblerait être celui de David Lynch et pourtant c'est du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qu'il s'agit. Les deux cinéastes partagent en effet quelques atomes crochus auxquels on pourrait ajouter celui de travailler le sound design de leurs films comme un élément aussi important que le reste. Voilà donc une excellente initiative d'avoir sélectionné et compilé la matière sonore des divers travaux du cinéaste car c'est justement par le son que ses films ouvrent la voie enchanteresse de l'onirisme, ce dernier n'étant guère terrassant comme chez Lynch mais plutôt apaisant.
Cette bande son marque d'emblée par la diversité de sa palette sonore, une diversité ayant tout à voir avec celle de la filmographie tortueuse du cinéaste, de ses longs métrages (dont une palme d'or en 2010 avec le sublime Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives) à ses courts métrages tout en passant par des installations dans le cadre d'expo. Chez Apichatpong Weerasethakul des hommes se métamorphosent en tigres (Tropical Malady), des âmes migrent, se réincarnent, des fantômes s'invitent à la table du diner comme si de rien n'était (Oncle Boonmee), des moines bouddhistes rêvent de devenir pop star (Syndrome and a Century), des soldats sont atteints d'une maladie du sommeil (Cemetery of Spendour). Un cinéma merveilleux au sens littéral comme au sens figuré dans lequel le fantastique, le naturalisme et parfois le trivial se côtoient sans s'annuler, bien au contraire.
On retrouve ainsi dans Metaphors ce même univers pluriel à travers les morceaux choisis, dessinant in fine une bande son aux multiples facettes où cohabitent le field recording (la jungle dans Dawn of Bunmee et Roar), le pop-rock à tendance emo (Straight et Acrophobia), l'ambient (Reverberation et Memory of the Future, deux morceaux de Koichi Shimizu), la musique concrète (Sharjah and Java), l'électronica type IDM (Jenjira's River) ainsi que de beaux instants de poésie isolés (la guitare acoustique baignée de sons environnants sur For Tonight et Mekong Hotel, hispanisante sur Smile et Intimacy). Une bande son hybride donc mais avant tout stimulée par ce même besoin d'apaisement, de croyances (celle envers le cinéma y compris) et d'évasions fantasmagoriques animant les films de l'artiste. Au-delà de ses vertues quasi médicinales, Metaphors est une faune intimidante mais jamais hostile, une faune luxuriante dans laquelle on se perd et où l'on doit tendre l'oreille. Le son est alors notre guide : il nous aide à réanimer les images et les ambiances de son cinéma, il nous prouve surtout son rôle majeur en nous rappelant que ces images sont inconsciemment liées à lui, qu'elles ne seraient peut-être rien sans lui.
Chroniqué par
Romain
le 03/12/2017
