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Taylor Deupree

: Somi



sortie : 2017
label : 12k
style : ambient / Minimal

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Tracklist :
01/ Minism
02/ Somi
03/ Slown
04/ Fenne
05/ Evode
06/ Autum
07/ Aoka

Nous sommes en 1975, le compositeur et producteur Brian Eno est hospitalisé. Il lance un matin sur la platine de sa chambre un album de musique pour harpe du 18ème siècle qu'on lui a offert mais s'apperçoit que le volume de sa chaîne est trop bas. Allité et trop fatigué pour se relever, le britannique décide finalement de continuer à écouter le disque ainsi, laissant le son de cette harpe à peine audible se mêler aux crépitements du vinyle, à la pluie tombant au-dehors et aux autres bruits environnants. On dit que c'est ainsi qu'est né dans l'esprit de Brian Eno l'idée de l'ambient, quelques années avant ses premiers essais dans le domaine. Suivra ensuite Music for airports en 1978, un album qui était destiné à être diffusé dans les aéroports afin de calmer les passagers les plus anxieux avant embarcation.

Cependant, de cette musique relaxante qui s'écoutait soit d'une oreille attentive soit d'une oreille distraite, il semblerait aujourd'hui que ce soit principalement la combinaison de ces deux types d'écoute qui donne à l'expérience de ce genre musical tout son pouvoir de sidération. Et ce magnifique Somi n'échappe en rien à la règle. Partagé entre les sensations contraires de ces sonorités invitant autant à l'endormissement qu'à l'éveil des sens, l'auditeur doit faire face à un léger conflit intérieur. Il est d'abord tiraillé entre ce besoin de comprendre les mécanismes s'opérant à l'intérieur de ces compositions et la volonté de plutôt préférer l'errance à laquelle elles nous convient, portées par une musique immersive demandant moins à être comprise qu'à être pleinement ressentie. Il est ensuite tiraillé entre son esprit cartésien souhaitant donner une explication à tout, et son esprit disons métaphysique donnant au doute sinon une importance du moins une existence. Il saisit enfin qu'il n'y aurait ainsi rien à comprendre mais tout à prendre dans une musique devenue de plus en plus insaisissable avec le temps, sans cesse stimulée par une grande famille d'artistes modernes et passionnants dont Taylor Deupree reste depuis près de 20 ans, et autant sinon plus de beaux albums solitaires ou accompagnés, l'une de ses figures majeures.

Avant de parler de la musique de Taylor Deupree, par ailleurs fondateur de l'excellent label 12k, il serait tout aussi convenable de parler de ses photographies tant celles-ci semblent évoquer par l'image ce que les compositions de l'américain tentent souvent de matérialiser par le son. Qu'y voit-on ? De grands espaces vides et des territoires déserts, ou du moins désertés par l'humain, comme autant de no mans land. Des architectures aux formes abstraites. Des paysages diurnes observés à travers des fenêtre rendues floues par la condensation. Une nature vertigineuse qui, comme dans le film Gerry de Gus Van Sant, rend l'homme minuscule, perdu et inadapté. Ce sont justement quelques photos abstraites de branches bourgeonnantes prises à l'hiver 2016 (présentes dans un livret soigné de 20 pages accompagnant le disque) qui ont été la source d'inspiration des morceaux de Somi, premier album solo du bonhomme depuis Faint en 2012, album consacré au phénomène de la fonte des glaces.

Somi dévoile ainsi sept compositions s'offrant comme un reflet des dites photographies, minimalistes et bourgeonnantes elles-aussi, laissant éclore des toiles cotonneuses suspendant les notes, les silences, le temps. On aimerait laisser la magie opérer et garder secret l'idée de la conception d'une oeuvre aussi enivrante que celle-ci mais Taylor Deupree explique tout dans le livret. Le sound designer souhaitait revenir aux motifs répétitifs de son album glitch Stil. (2002) tout en ajoutant à sa maîtrise des programmes un élément qui viendrait perturber à la fois sa musique mais également sa manière de la concevoir. Il décida en cela de "jouer à la main" ("hand-made" écrit-il) ses boucles répétitives, et ce au moyen de quelques instruments tel le glockenspiel, le piano électrique ou encore la guitare sur Somi, créant ainsi des variations accidentelles donnant à sa musique l'impression d'évoluer en étant à la fois toujours la même et jamais la même. D'où cette impression de flottement dans des compositions qui fascinent et pourraient durer éternellement sans ne jamais perdre leur indéfinissable force attractive.

Mais ce qu'il y a peut-être de plus beau dans cette musique dite minimaliste et créée autour de notes éparses et de silences parfois plus présents, c'est qu'elle laisse finalement une place importante aux pensées évasives que l'on peut y projeter durant son écoute. On met alors un peu de soi dans Somi comme tant d'autres avant lui, et mieux encore : on essaye de composer avec. Au-delà du pont entre musique et photographie sus-cité, c'est étrangement un lien avec le cinéma qui me vient en tête. L'album de Taylor Deupree partage en effet quelques éléments communs avec le cinéma de Hong Sangsoo dont le dernier film, le très beau Yourself and Yours, est sorti à seulement deux jours d'intervalle. On y retrouve le même goût de l'enivrement, de la perte des sens, des projections mentales, du doute sur ce à quoi on assiste, des motifs qui se répètent et varient imperceptiblement, se délitent. On retrouve finalement ce léger vertige que tout cela fait naître chez le spectacteur de l'un comme chez l'auditeur de l'autre, avec en bout de course cette unique envie d'y retourner pour continuer à ne pas comprendre. C'est peu dire que Somi de Taylor Deupree est un grand disque sur la petitesse, un disque que l'on imaginerait pointilliste, peignant par petites touches une forme de rêve que sa musique délicate a su éveiller.



Chroniqué par Romain
le 11/02/2017

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