Preoccupations

On le sait: succéder à un coup de maître est une tâche loin d'être aisée pour un groupe. Les canadiens de Preoccupations, anciennement Viet Cong, avaient en effet jeté l'année dernière un objet de pure attraction à la face de l'indie rock. L'album séduisait principalement par ses nombreux méandres référenciels savamment digérés où se côtoyait dans une course effrénée battements métronomiques hérités du krautrock, textures froides et granuleuses issues de la cold wave, fragments industriels, explosions soniques et rythmes impaires louchant vers le math-rock. Avec son aspect aussi fourre-tout que touche-à-tout, l'album ouvrait ainsi en grand le champ des possibles quant à sa suite.

Ce nouvel opus sous le patronyme moins provocateur de Preoccupations nous incite à penser que le quator canadien n'a pas encore envie d'emprunter une direction en particulier et souhaite plutôt garder cette forme bigarrée où tout et son contraire peuvent se rejoindre au sein de morceaux souvent sur le fil. Entre indie pop aux allures new wave et expérimentations plus absconses, Preoccupations assume sa schizophrénie et tricote des compositions dont il faut parfois accepter une certaine incohérence. Les 11 minutes de Memory sont clairement là pour en témoigner. Le morceau forme progressivement un triptyque dont chaque nouvelle partie vient contredire la précédente. Lancé par une rythmique cassante portée par des synthétiseurs vintage et la voix d'outre-tombe du chanteur bassiste Matt Flegel, Memory se poursuit ensuite sur une pop claire et mélodique pour enfin s'achever sur des ressacs de larsens ambient du plus bel effet. Il est alors assez clair qu'en réunissant sur un même morceau le son du post-punk fin 70's avec Wire et Joy Division en ligne de mire, la new wave plus chaude et synthétique des 80's ainsi que le shoegazing des 90's, Preoccupations veut maintenir dans sa musique une forme d'intemporalité et continuer à puiser là où il veut, quitte à laisser sur le bas-côté les auditeurs peu amateurs de mauvais mélanges.

On regrettera toutefois que cette forme d'intemporalité passe parfois par des collages de genres légèrement foireux, comme si à défaut de pouvoir écrire de grandes chansons le groupe s'en remettait à quelques artifices et autres écrans de fumée. L'album est en effet rempli de morceaux étranges qui semblent parfois être bricolés avec des restes. Et l'on doit d'ailleurs admettre qu'entre ceux qui prennent trop de temps à démarrer (Anxiety, ci-dessous) et ceux qui se terminent sans avoir réellement commencé (Forbidden), on se demande parfois si le groupe a finalement un vrai potentiel qu'il saura préserver sur la durée. Le premier extrait Degradded laissait déjà craindre un avenir délavé à la manière d'Interpol. Mais les canadiens semblent encore en avoir sous le capot, que ce soit en terme d'énergie rock (les bourrasques Zodiac et Stimulation) qu'en terme de sombres incantations (Anxiety, Memory donc ou encore ce Fever clôturant merveilleusement ce nouveau cru).

Avec cet album n'ayant pas tant à rougir du peu de concurrence qu'il y a au rayon indie actuellement, Preoccupations relance ainsi les dés une seconde fois mais cette réussite mi-figue mi-raisin, ou plutôt mi-posture mi-talent, nous laisse une fois encore autant dans l'espoir d'une belle oeuvre polymorphe à venir que dans la crainte d'un futur trop dispersé qui pourrait perdre de son efficacité. Leurs préoccupations sont peut-être bel et bien là.