Avec The Indian Castle Of Marocco, le quatuor Rome Buyce Night frappe fort, tant les 6 titres proposés ici sont un concentré de ce qui se fait de mieux sur la scène rock indé française. On est en présence d'un groupe qui mêle avec brio les genres, passant d'un rock psychédélique à un krautrock sans briser la cohérence ou se perdre dans une technique bancale. Après Ann Arbor, Rome Buyce Night confirme qu'il est un groupe à suivre pour les amateurs de post-rock.
Le disque s'ouvre sur le titre éponyme, une véritable décharge à mi-chemin entre un rock progressif et noise. Sur des rythmiques percussives denses, un jeu de guitares abrasives imprègnent la mélodie d'une texture chauffée à blanc, rendu dingue vers la fin du morceau par une clarinette hystérique, avant que quelques notes de synthé ne viennent éteindre le brasier. Rappelant certains morceaux de Noir Désir, le quatuor propose d'entrée de jeu une esthétique sonore radicale. On poursuit la visite par Blonde Péroxydée. Psychédélique à souhait, l'écrivain Jérôme Orsoni déclame un chant poétiquo-narratif, rapprochant Rome Buyce Night du travail de Michel Bulteau. On divague avec le groupe dans un trip sonore où les échos de synthés enveloppent notre être pour l'emmener aux Pays des possibles, titre sonnant seventies, avec un penchant atmosphérique. Les modulations du tempo produisent une ambiance psychédélique qui inspire à la rêverie.
Rome Buyce Night nous conduit dans les tréfonds de son imaginaire collectif. On pénètre alors dans Blue Elephant, avec un synthé languissant et des percussions lentes, alors que des guitares hypnotiques guident l'auditeur vers la transe. S'ensuit Sasha Adèle et les autres, titre plus mélancolique par son ouverture au piano qui donne de la consistance au tissu sonore de l'album, ouvrant le champ des possibles tout en maintenant une cohérence mélodique. Il découle de ce titre une musique sombre et belle, résonnant comme la parfaite illustration d'un drame qui marque l'existence. Une idée peut-être simple, mais pas simpliste dans les faits. La beauté violente du titre retranscrit avec grandeur et délicatesse cette pléthore d'émotions qui nous accompagne. Enfin, Froid, photographique dévoile une mélodie plus noire et plus violente, sur laquelle résonne un texte surréaliste qui s'emporte vers la folie. Ce spoken word en français s'accorde parfaitement avec la poésie électrique des instruments, traçant une voix vers un psychédélisme froid, à la lisière de l'expérimentation, réconciliant rockeurs et avant-gardistes.
Sans chercher l'élitisme, Rome Buyce Night produit une musique exigeante qui fait s'écrouler les barrières, entre les genres, comme entre les publics, apportant à ceux qui aime le rock et ses variations, une réponse à la question "existe-t-il encore du rock français ?".
Chroniqué par
Etienne Poiarez
le 24/06/2015