Stigmate d'une époque qui ne sait plus lire l'avenir que dans ses propres fèces, préférant les réingurgiter pour s'imaginer en mouvement plutôt que de se laisser couler dans la surprise et son plus simple bouleversement : la musique populaire, et le rock en particulier, n'en fini plus de soulager bruyamment ses crampes stomacales au lieu de justement célébrer ses hérauts.
Ainsi du maelstrom vert de gris des étiquettes "kraut" qui pulullent ces temps-ci sur le moindre faiseur de boucles rythmiques, et dans lequel en disparaissent malheureusement de très bons. Comme le trio berlinois de Camera.
Avec ce deuxième Lp aux exhalaisons chimiques - Remember I Was Carbon Dioxide nous rappelle son titre - successeur du très recommandable Radiate, on dépasse le simple hommage aux anciens (Can, Faust, Neu! ...Et autres casques à pointe). Effectivement, rarement groupe teuton n'aura réussi à approcher l'essence du propos des compatriotes de jadis d'aussi près : jamais l'effort d'imitation comme le poids des références ne viennent ici crisper la fluidité du mouvement.
Equilibre précaire, sans cesse courtisé - jamais foncièrement menacé - par ses bonnes intentions et ses belles idées, la vraie réussite de ce disque ambitieux réside dans sa force de frappe violente, et ce jeu ambigu entre collages sonores et riffs distordus génèrant du psychédélisme là où la plupart du temps on en n'espérait plus. Relançant par là la mécanique d'un album d'une beauté d'un autre âge, et pourtant crânement ancré dans l'instant. Evitant ainsi à l'auditeur de se figer, se crisper même dans ses certitudes.
Alors, oui, Camera fait partie de ces groupes majeurs qui, en Europe, se voient décerner le seul honneur de passer à la trappe de la notoriété. Dommage ! D'autant plus que leurs morceaux, douze instrus[mentaux], sont immenses, malgré l'abstraction parfois revêche de leur écriture, créant un superbe répertoire tenant à la fois du laboratoire expérimental et de la création sublimée où chaque titre évolue vers la rupture dans une frénésie du tournoiement et du hurlement de drone.
Ici le genre a totalement éclaté, reste alors le miroir grimaçant des figurations hypes et autres poseurs inertes. ne leur en déplaise, Camera est déjà loin devant eux, courir ne servira certainement plus à rien.
Chroniqué par
Yvan
le 14/10/2014