Aphex Twin

Treize ans c'est long, surtout dans un milieu comme celui de la musique électronique où les choses fusionnent en permanence, se renouvellent et évoluent à vitesse grand V. A l'évidence cette planète-là n'a pas attendu Aphex Twin pour faire son bonhomme de chemin, à l'instar de ses voisins du label Warp Autechre qui ont pendant ce temps continué de faire avancer le schmilblick en livrant des albums radicalisant l'IDM à l'extrême pour l'emmener aux confins de l'abstraction totale et de l'expérimentation pure. Lorsque le retour de ce qui reste une des figures marquantes du genre a été annoncé, voilà la question inévitable qui brûlait toutes nos lèvres: sous quelle nouvelle forme le mutant Aphex Twin allait-il revenir?

Un tel retour après une si longue absence nourrit forcément les fantasmes et ce n'est plus un nouvel album qui est attendu de pied ferme au tournant mais un chef d'oeuvre absolu voire une révolution. Pas de révolution ni même d'évolution, Syro est un retour aux sources ne proposant rien de musicalement neuf et reprenant le travail là où le britannique l'avait laissé avec l'ambitieux Drukqs en 2001. Ce nouvel album a ainsi moins à voir avec Autechre qu'avec d'autres voisins de chez Warp revenus l'année dernière après 8 ans de silence: le duo Boards of Canada. Comme pour le Tomorrow's Harvest de ces derniers, la déception des premières écoutes due au manque de nouvel ADN (comme a pu l'être de son côté le retour d'Oval par exemple) laisse progressivement la place à un délicieux goût d'anachronisme.

Dans sa faculté à synthétiser en une heure tout ce qui a défini le son hybride de sa musique ainsi que le spectre assez large qu'il s'est construit au fil de sa discographie, l'anglais brille de tout son savoir-faire et ne déçoit pas. Fourmillant d'idées et de mélodies relançant sans cesse comme un moteur des morceaux dépassant pour la plupart les 6 minutes, Syro est certainement l'album le plus accessible de son auteur dans le sens où il pourrait presque se concevoir comme un best-of inédit qui proviendrait directement d'un trou de ver ou d'une faille spatio-temporelle.

Aphex Twin garde encore ce don pour concilier les matières contraires: ce nouvel album est organique et métallique, funky et planant, chaotique et limpide, parfois tout ça à la fois au sein d'un même morceau (les 10 minutes exaltantes de XMAS_EVET10 où se cotoient drum n'bass et nappes ambiantes). C'est lorsqu'au deuxième tiers de l'album des rythmiques breakcore pointent le bout de leur nez que l'album prend réellement un coup de vieux mais les passages faibles de Syro se comptent finalement sur la moitié des doigts d'une main.

A défaut de proposer une nouvelle mutation de sa musique, Aphex Twin convainc surtout dans sa manière de remettre toutes ses pendules à l'heure, un reformatage laissant pendre aux lèvres une nouvelle question: après une telle mise à plat renouant avec les succès du passé, la suite (s'il y en a une) sera-t-elle plus aventureuse? C'est tout ce que l'on espère.