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Ryuichi Sakamoto + Taylor Deupree

: Disappearance



sortie : 2013
label : 12k
style : Ambient Music / Musiques Électroniques / Musique Contemporaine / Field Recordings

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Tracklist :
01/ Jyaku 02/ Frozen Fountain 03/ Ghost Road
04/ This Window 05/ Curl To Me

Depuis que certains musiciens ont renoncé (pour diverses raisons et de diverses façons que nous ne pouvons pas exposer ici) à l'idée selon laquelle la musique est une structure organisant des notes et leurs rapports entre elles (nous simplifions volontairement), une conception différente de la musique a vu le jour. Une conception de la musique qui, pour tout dire d'un coup, a commencé à s'intéresser aux sons pour eux-mêmes, en effaçant par-là même la distinction entre le bruit et le son, le silence et la musique. L'environnement sonore a commencé à prendre le pas sur l'environnement musical.

Ce fut un changement de contexte, peut-être même un retour en arrière vers une origine fantasmée et fantastique de la musique, un retour vers une époque quand la musique n'était pas séparée du reste des activités humaines. Ou du moins, on a commencé à entendre la musique en cela qu'elle faisait partie de l'environnement. Certains ont appelé cela "ambient music". D'autres avant eux pensaient que les sons étaient simplement des sons. Il y a eu encore d'autres variantes. Dans tous les cas, la musique n'appartenait plus à la musique : ce n'était plus un domaine séparé, extérieur à notre expérience. La musique redevenait ce qu'elle avait (peut-être) toujours été : une composante de notre expérience commune et ordinaire de l'existence, du monde, de ce qui nous entoure.

C'est avec cette conviction qu'il faut aborder Disappearance.

Comme une disparition.

Une disparition certes, mais de quoi ? Des interprètes ? De la musique ? De la musique comme forme a priori du son ? De tout cela en même temps ? Peut-être.

Ce qui a lieu dans ce disque, c'est l'expérience du son. L'expérience du son que l'on écoute, l'expérience du son de l'enregistrement. Pas de notes claires et distinctes, pas d'harmonies construites, pas de résolutions finales. Comme dans un disque de musique après la musique (je veux dire : après la musique comme on l'a conçue depuis le Romantisme) : des textures, des nappes, des abstractions, et puis des sons très concrets, des manières de faire apparaître et entendre ces sons de manière très sensible. Non pas des notes, non pas des accords, non pas des harmonies. Des sons, et puis des sons, et puis des sons.

En ce sens, c'est vrai, Disappearance n'est pas un disque original. C'est simplement un disque comme il faudrait qu'il y en ait plus. Un disque qui renonce à la croyance que l'on peut, par la musique, séparer notre expérience d'auditeur de notre expérience de mélomane. Un disque de musique qui renonce au privilège de la musique.

Tout ceci a commencé il y a plus de soixante ans (le son, le silence, le piano préparé, etc.). Mais, si le spectre de John Cage s'amuse à venir hanter ce disque, ce n'est pas un hasard. C'est que ses interprètes ont compris quelque chose qui ne va pas forcément de soi. À savoir : que la musique peut devenir une désapparition de la musique, une musique qui, sans renoncer à la musique — sinon à quoi bon perdre son temps à en jouer, à l'enregistrer ? —, performe la musique, fait tout entendre d'elle, son rapport au son, à l'enregistrement d'elle-même, à l'ouverture totale qu'elle présuppose au monde qui nous entoure, une ouverture qui n'est pas passive, qui n'est pas une simple contemplation, mais qui est une activation de la sonorité de ce qui nous entoure. Et ce, jusque dans la voix.

On peut l'entendre à la fin, comme une manière de dire que ce qui fait que nous sommes humains — parler et le faire entendre ; parler et se faire entendre ; parler parce que nous avons des points communs —, même cela n'échappe pas à ce nouveau régime musical du son (nouveau au moins en cela qu'il est assez récent).

Il y a du son partout, même quand tu parles. Même quand tu ne dis rien. À la fin du disque, ainsi, nous sommes tous des japonaises, et nos vocalises ne sont pas des vocalises, mais des manières d'interagir avec l'espace — sonore, aussi — autour de nous (Curl To Me).

Ce disque n'est pas un manifeste. Ce texte l'est peut-être un peu plus.



Chroniqué par Jérôme Orsoni
le 21/09/2013

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