Avec l'album
Miami sorti en mars dernier chez
!K7 Records, le trio allemand
Brandt Brauer Frick poursuit son expérimentation sonore. Entre jazz, techno, industriel et hip-hop, pour ne citer que quelques genres qu'ils arpentent,
Daniel Brandt,
Jan Brauer et
Paul Frick construisent une œuvre déconcertante pour l'auditeur puisque chaque morceau nous plonge dans un univers radicalement différents de ceux qui l'entourent. Difficile de parler de parcours, c'est l'hétérogénéité qui prévaut ici. Les multiples influences ne se conjuguent pas à l'intérieur de chaque titre mais ont chacune droit à une exposition distincte dans le déroulement de l'album.
En fait, c'est sans doute le titre du morceau d'ouverture,
Miami Theme qui indique le plus quelle peut être une des écoutes possibles de l'album. L'album se présente comme une musique de film, et ce premier morceau construit le thème récurrent de l'album, thème repris par le final
Miami Titles. Dans cette perspective, l'éclatement de cette œuvre s'amenuise. Ou plutôt, elle n'est plus un obstacle à l'écoute. C'est ici qu'on reconnaît l'intelligence de cet album mêlant piano, sonorités techno, voix hip-hop : exiger de l'auditeur une écoute réflexive, ou être heurté s'il se contente de suivre distraitement ce grand écart musical. Chaque morceau est donc l'occasion d'imaginer une nouvelle scène de film, des scènes angoissantes lors des apparitions du thème principal, et des scènes plus légères.
L'album commence par présenter son leitmotiv (
Miami Theme) dans un tempo angoissant, ou du moins dans un minimalisme créant une inquiétante étrangeté. Changeant d'atmosphère,
Ocean Drive nous mène à une scène plus rythmée, avec un dialogue entre le martellement du piano transformé en boîte à rythmes et des sons électro. Après une reprise de ce dialogue dans
Skiffle It Up, suite de sons électro saccadés et arrêtés par des pulsions mélodiques du piano, Broken Pieces utilise la voix soul du chanteur
Jamie Lidell dans un morceau où le rythme s'apparente à un ressassement sans fin, comme si le trio avait à tout prix voulu rompre avec l'idée d'une quelconque progression menant à une fin.
Au milieu de l'album, le court
Miami Drift reprend son thème principal pour nous replonger dans l'atmosphère inquiétant de cet univers. Mais le titre suivant (
Verwahrlosung) revient à ce dialogue entamé précédemment, avec un piano cette fois-ci désarticulé, agonisant, repoussant sa mort de seconde en seconde, atmosphère soutenue par la voix étouffée de
Nina Kravitz. Empty Words signe quant à lui la seconde participation de
Jamie Lidell à cette œuvre. Morceau constamment au seuil d'un rythme jazz, rythme toujours essouflé, cette difficulté à s'élancer, ce point de butée devenant finalement la signature musicale de l'album.
Mais la longue agonie du jazz n'en finit pas là,
Fantasie Mädchen offrant le mélange entre un jazz désarticulé et un rythme techno, mélange sans doute le plus expérimental de l'album. La reprise finale du thème dans
Miami Titles tire toutes les conclusions de ces mélanges sonores. Les
Brandt Brauer Frick inventent une musique inclassable, avec le même ton froid et angoissant que ses compatriotes et aînés
Kraftwerk et
Einstürzende Neubauten.
Chroniqué par
Patrice Vibert
le 27/05/2013