Nicolas Jaar n'est pas coutumier des jeux d'identités, à l'inverse de quelques-unes de ses influences,
Vladislav Delay et
Ricardo Villalobos en tête. Démarche différente, volonté d'avancer démasqué, et pourtant, comme avec ces personnalités gigognes, les même éclairages, à deux ou trois angles près, sur la scène électronique mondiale.
Débarquant presque anonymement avec sous le bras ce premier opus - ces travaux d'edits et de remixes pour
Bpitch Control,
Wolf + Lamb et son propre label
Clown & Sunset nous avaient tout de même déjà alertés -
Jaar, du haut de ses vingt et un ans, surprend à plusieurs titres. Tout d'abord, on ne l'attendait pas dans un registre aussi hiératique. Et surtout on ne le savait pas à ce point habité.
Ici les sonorités house et ambient, alternance deep et downtempo, rebondissent au gré d'aphorismes plus oui moins cryptiques, de samples érudits (
Godard,
Daney et
Acconci en pleine digression sur
Être, Tristan Tzara roulant les "r" avec son
Pour compte sur
I Got A Woman). La gageure était certainement pour lui de garder sur la longueur cette grâce naturelle. Pari emporté . Haut la main, qui plus est !
Clairement, le jeune producteur semble s'y être employé plus que de raison. Mettant bien plus que son savoir-faire au service de morceaux aux qualités évocatrices remarquables. Il a payé de sa personne, se dévoilant bien plus qu'on aurait pensé. Ainsi, de ces quatorze titres, on en perçoit les arias comme par mégarde, hypnotisé ici par un piano nonchalant, embarqué là par des voix trafiquées simplement, presque archaïques, comme les murmures d'une âme en plein rêve.
L'ascétisme de l'entreprise renvoie aux belles images du livret : des photos intimes prises par le père de
Jaar, Alfredo. Comme si on avait voulu impliquer l'auditeur, sans pour autant le distraire de la force séminale des évocations déclenchées. L'agréger à un nouvel espace de profondeur. Un lieu où le bruit ne serait que cette musique, pesante par son décharnement. Une étrange austérité de surface, s'offrant en pâture dans une sérénité un brin désespérée et une intensité impossible (il faut succomber à la beauté d'un titre comme
Balance Her In Between Your Eyes).
Space Is Only Noise nous décrypte ainsi le monde d'un drôle de rêveur, remportant du coup un autre pari : avoir su réconcilier dénuement et émotion. Un vrai coup de Ja(a)rnac poétique !
Chroniqué par
Yvan
le 18/07/2011