C'est vrai qu'on aimerait pouvoir oublier. Par exemple, dix ans de notre vie. Ces dix années qu'on aurait passées avec une fille qu'on n'aimait pas vraiment, mais avec laquelle on restait quand même, parce qu'il fallait bien vivre avec quelqu'un. On aimerait oublier. Ou mieux : barrer d'un trait, et se dire : ça n'a jamais eu lieu, ce n'est pas vrai. La preuve : j'ai tout oublié. C'est vrai. Mais c'est impossible. Dans la vie, les événements restent, reviennent violemment, et te rappellent que tu as vraiment été un crétin, un lâche, bref, un pauvre type.
En musique, c'est différent. C'est la force de l'auditeur de pouvoir oublier, de ne garder que le meilleur, et de se dire, par exemple :
Hardcore Will Never Die, But You Will est le premier album de
Mogwai depuis dix ans, depuis
Rock Action. C'est tout. C'est comme ça. Entre les deux : rien, une longue absence, une longue parenthèse, qui nous aura fait croire à la mort du groupe. Mais, non, l'Écossais est tenace, il a la peau dure. Et, alors qu'on le croyait mort et enterré, il renaît. Enfin.
Parce que
Hardcore Will Never Die, But You Will, avant d'être un disque de
Mogwai, c'est d'abord un bon disque. Riche, intelligent, et varié, abrupt, dur, et poétique. En dix ans, le groupe a changé. Ni en bien ni en mal — simplement changé. Tout en conservant quelque invariant, comme cette utilisation fascinante du vocoder, l'introduisant (à la
Mogwai, forcément à la
Mogwai) sur un rythme qui n'est pas prêt à l'accueillir, qui fait de la voix une voix de tête, qui parade en crête sur le riff (
George Square Thatcher Death Party). Ou encore : ce sens de la mélodie mineure que vient rabattre une batterie lourde. Ce sens de la mélodie encore sur un rythme entêté, à la fois doux et lourd, qui surprend malgré tout ce à quoi on peut raisonnablement s'attendre, et séduit, c'est le plus important (
Mexican Grand Prix). Des contrastes, en somme. Pas des idées révolutionnaires (ils les ont eues il y a trop longtemps pour qu'on les exige à nouveau), mais une application de ces idées, qui met en évidence leur pertinence et leur force. Des mélodies à la guitare comme des feux d'artifice. Des mélodies au synthétiseur comme des lamentations. Un crescendo sans transition. Une halte.
Et le tour de force, la démonstration : introduction ample et légère — sample — affirmation de la première idée musicale — cendres de cette première idée — soupir — deuxième idée musicale — explosion de cette deuxième idée — introduction d'une troisième idée musicale qu'on superpose avec un tempo inchangé — longue progression en laissant aller. Pas
My Father My King, mais du grand art tout de même (
You're Lionel Richie).
Pour finir, je serai honnête :
Hardcore Will Never Die, But You Will ne remplacera jamais dans mon cœur de midinette
Come On die Young ou
EP + 6, mais il aura eu ce mérite insigne de me faire dire : j'ai retrouvé
Mogwai. Et de soupirer : enfin… Ils attendaient quoi, en fait ?
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 16/07/2011