Il semblerait bien que nous assistons, depuis quelques années, à l'émergence d'une nouvelle génération d'abstract hip hop typiquement West Coast. Citons, entre autres, la fine équipe de
The Glitch Mob (
Kraddy,
edIT,...),
Nosaj Thing,
Baths ou encore
Flying Lotus – de l'autre côté du continent,
Dr. Who Dat? est l'exception qui confirme la règle. Il est vrai, tous ne font pas la même musique, mais les uns comme les autres ont en commun l'envie d'en découdre avec un genre qui peine à se renouveler. Il aura fallu pour cela accepter de laisser la platine vinyle prendre la poussière. Et plutôt que de scratcher à tout-va, pourquoi ne pas s'inspirer du travail de déstructuration électronique dont les glitchers (
Prefuse 73 le premier) se sont fait la spécialité ? C'est l'idée qu'a embrassée cette scène gravitant autour de Los Angeles.
Le passage d'outils analogiques au pur numérique ne s'est pourtant pas fait sans contrepartie. Comme s'ils voulaient remplacer la touche humaine perdue par l'abandon du scratch, certains ont conféré à leur son un aspect organique : sonorités visqueuses, beats approximatifs. L'humain, derrière sa machine, ne se manifeste plus par ses performances à la platine ; il rappelle sa présence grâce à l'oubli volontaire de quantization. Notons d'ailleurs que les algorithmes de randomization de beats, au départ uniquement présents sur les séquenceurs pro, sont peu à peu devenus indispensables à tout DAW qui se respecte (ReGroove Mixer sur Reason 4, Groove Pools sur Ableton Live 8), un signe du temps ?
Only Mountain, premier album de
Take, apporte une pierre de plus à cet édifice naissant.
Take use et abuse d'arpégiateurs, rendant certains passages de ses compos hallucinés, psychédéliques (
Crystallia). L'aspect organique ne passe pas chez lui par une quantification hasardeuse des rythmiques mais plutôt par les textures choisies. Ces ambiances de jungle (
Before You Think), ces cascades new age qui ressuscitent pour le coup
Lifeforms de
The Future Sound of London. Pour autant, notre homme n'a pas fait un bond quinze ans en arrière. Son wobble tempéré (
Begin End Begin) et le sidechaining extrême dont il use parfois (
Horizontal Figuration) ancrent bien l'album dans son époque. On en vient à apprécier ses montées papillonneuses extasiées, ses kaléidoscopes végétaux, ses fluides glutineux. Bref, tout ce qui contribue peu à peu à entourer
Take d'une aura particulière.
Only Mountain est un album réussi qui, je l'espère, détournera un instant les fidèles de
Flying Lotus du piédestal sur lequel ils l'ont juché.
Chroniqué par
Tehanor
le 24/06/2010