Le cinéma, dans le sillage de la photographie, n’a eu de cesse depuis son invention de réinterpréter la réalité dans laquelle nous vivons (ou croyons vivre!). De distordre les images directement prélevées de notre environnement. Au sommet de cette démarche de déconstruction du réel, trône peut-être le film Koyaanisqatsi. Œuvre protéiforme jouant sur les échelles de temps et d’espace pour transcender totalement la perception tristement banale et finalement incomplète que nous avons de notre civilisation occidentale. Et par la même de notre propre quotidien.
La musique de
Jamie Drouin s’inscrit directement dans cette optique de transfiguration de la réalité. Pas étonnant d’ailleurs que ce sound designer canadien, pour le moins discret, se révèle être une des figures clé de l’écurie
Dragon’s Eye Recording. Un des labels pionniers dans le genre.
A Three Month Warm Up est en fait une piste d’ambient music colossale. Colossale de par sa durée : 74 minutes. Mais aussi de par la technique utilisée.
Jamie Drouin fait s’entremêler ici 124 field recordings. Tous capturés sur une période de trois mois dans un square publique de Victoria au Canada puis retravaillés entièrement par ordinateur jusqu’à en devenir méconnaissables.
Le résultat ainsi obtenu est pour le moins surprenant. Ces sonorités abstraites et irréelles, fruits d’instants perdus du quotidien d’un parc public, balayent le spectre sonore comme des vents solaires. Alors que
Jamie Drouin aurait pu tomber dans l’ascétisme expérimental imbuvable, il a réalisé un vrai travail de composition qui donne une dimension hautement émotionnelle à son propos.
Et c’est bien là que se situe le tour de force.
A Three Month Warm Up, oeuvre environnementale plus qu’atmosphérique, fait émerger d’un matériel sonore en apparence parfaitement désincarné, une gravité et une mélancolie insoupçonnés.