En ces temps maussades, grisaille et dégringolades abyssales du mercure tapissent notre moral d’une tenture surannée, un peu comme chez mamie Paulette, souvenez-vous... On se prend alors à rêver, les yeux fermés, des douces caresses de la chaleur estivale, priant pour qu’un héroïque chroniqueur nous offre un voyage vers des latitudes plus méditerranéennes ; vous voyez déjà où je veux en venir. Le temps d’un article, déchaussez vos pantoufles en poils de yack, mettez votre doudoune au placard, ressortez marcels et claquettes Sergio Tacchini, nous embarquons pour la Grèce.
Si, si, vous avez bien entendu ; le présent disque nous vient tout droit du pays aux apologues mythologiques et leurs dieux de tout et de rien. Celui du hip-hop, en ces contrées, paraissant tout de même s’être endormi quelques siècles durant sur un doux nuage de coton, fricotant à droite à gauche avec Nyx ou Aphrodite, voire les deux (que mes blasphèmes soient pardonnés). C’était sans compter qu’on le réveilla, en sacrifiant sur l’autel de l’art musical une œuvre digne du plus grand intérêt : Fyroi. Coupables de ce joli parjure, deux rappeurs, Athe Noir et Galliano, qui s’associèrent fin 2006 sous le nom de Fyroi.
Aujourd’hui, plus que jamais, et comme bien d’autres choses, le rap s’est internationalisé. Nos amis d’outre-atlantique, précurseurs en leur temps, ont insufflé des vocations aux quatre coins du globe ; ils ont allumé un flambeau que d’autres sont venus reprendre ; les pays de l’est de l’Europe principalement, les Russes aussi, les Australiens, même les Grecs.
Révélés par leurs homologues américains de chez Sub-Con5cience justement (rien que ça), Fyroi, alors nouveaux petits protégés du label Upper Echelon, confient à ce dernier la production de leur album éponyme. En 2008, le projet se concrétise, et malgré une distribution timide, parvient à atterrir dans quelques bacs, et notamment entre mes mains.
L’album est en soi, indubitablement, un album musical. La part belle est octroyée à l’élaboration des mélodies. Fleuries, aux arrangements musicaux soignés, elle ne tombent toutefois jamais dans la boucle simpliste, et évitent au passage l’écueil de la lourdeur et du surchargé. L’usage de véritables instruments ravira les oreilles des mélomanes, sur Programma Ektelesimo et ses accords de guitare améliorés au violoncelle, ou Stigmes Omorfes et ses rythmes hispaniques.
Le recours au traitement électronique de voix fluettes et féminines qui parsèment certains titres, de ci, de là, trahit un souci discret, mais perceptible, de modernité.
Rassurez-vous. Pour qui a une oreille déjà exercée au foreign rap – ou pas, question de feeling – la langue grecque ne gâchera en rien votre plaisir.
Atout ou handicap ? Ce LP fait dans la constance et l’homogénéité, au risque de passer pour un peu « plat » (quoi de plus normal pour un disque ? je vous entends d’ici. Mouarf). Difficile exercice, donc, que d’extraire du lot des coups de cœur qui éventuellement tireraient leur épingle du jeu. Sans être obligatoirement une force, c’est au moins une caractéristique à souligner, preuve d’un vraisemblable travail de fond. Alors, Fyroi ? Un album abouti, bien léché, d’une vraie densité musicale.
N’osons pas le terme de « coup de maître », mais admettons volontiers que pour un coup d’essai, c’est réussi. Gageons que l’essai se transforme dans la durée, notamment via la carrière solo d’Athe qui semble doucement prendre son envol, le lancé de disques, après tout, est une spécialité nationale.
Chroniqué par
Hafi
le 17/11/2009