Condamné depuis trop longtemps à notre goût au succès d'estime - vous me direz c'est déjà ça, certes - avec trois albums et une palanquée d'Eps au compteur,
Raoul Sinier doit commencer à être à l'étroit dans ce costard du psychopathe écorcheur de machines qu'on veut lui voir porter. D'un autre côté on peut comprendre à l'écoute de sa discographie passée pourquoi cette "quarantaine", lui qui ne s'est jamais entiché d'autres choses que de ce qu'il avait choisi de faire, de défaire et de détruire.
Prophète ignoré de la greffe électroniquée,
Ra a toujours été trop sale pour le lino des musiques en "hop", trop malade pour l'intelligentsia MAOiste. Mais il semblerait qu'il ait eu un plan pour arranger ça. Treize en fait, et des brouettes d'images :
Tremens Industry. Un disque qui devrait lui permettre de clouer le bec des chicaneurs et enfoncer la concurrence. Pas tellement qu'il en ait ressenti une envie incontrôlable, pas le genre de la maison, mais disons que ça nous fait du bien de le penser.
Après le paroxy(si)smique
Brain Kitchen, violent et sombre à souhait, l'artiste a fait la vaisselle avant de remettre le couvert. Cependant, trop sauvage pour garder un cap ferme et définitif, sa musique fait quelques pas de côtés, histoire qu'on n'oublie pas à qui on a affaire, pour reprendre sa marche en avant, nous éclairant un peu plus sur le personnage - pas un moindre mot dans le cas Sinier - , en nous dévoilant une nouvelle composante de sa panoplie. Raoul sait chanter (enfin pas toujours hein ! Des fois il éructe aussi).
A partir de ce constat surprenant de prime abord, puis relativement logique en y repensant (d'autres avaient posé leurs voix sur ses morceaux, pourquoi pas lui ?), ce quatrième album devient vite envahissant, gagnant en profondeur et définition ce qu'il a perdu en agressivité et raideur psychotique. Mais attention , pas de méprise,
Tremens Industry n'est pas non plus l'album du changement, selon les termes consacrés. Raoul n'a pas viré de bord, du moins dans l'état d'esprit.
Comme toujours serait-on tenté de dire, même si ici les bécanes ont surement dû prendre un peu moins de coups de fouet (exception du faramineux
Map For A Tactical Nonsense, où là elles ont pris cher), son électro ravage tout et nous rappelle à quel point cet homme est dingue. Dingue de technique (il faut le voir fabriquer sa gratte pour l'occasion, un fou on vous dit) et de méticulosité (ces claviers bordel !!). Dingue d'idées noires, saugrenues autant qu'efficaces. Et franchement ça ne s'est pas tellement arrangé. Écoutez ce disque, vous entendrez, et finalement vous verrez.
A l'instar de l'escalope remuante, vedette du clip bourrée d'ironie troussé pour le morceau éponyme, vous verrez votre tapis prendre vie et vingt centimètres d'épaisseur. Vous verrez vos murs se picter, des bestioles difformes vrombir autour du lustre clignotant. Vous verrez le frigo devenir le siège d'une orgie sacrificielle.
D'une electronica paludique (les synthés blafards d'
Overthoughts) en break'beat noisy (l'amphétaminé
Confusion Room) en passant par quelques efforts hip-hop branque (
List Of Things et le moins percutant
Sand Skull , il lui manque un rap) voire tout bonnement pop (les génialissimes
Boxes et
The Hole, on en rêvait il l'a fait, bravo !), tous ces titres, une fois découverts, ne vous laisseront plus tranquille . Vous êtes assis dans le salon ? Ce sera avec des yeux derrière la tête et un torticolis. Une petite écoute avant de s'endormir ? Folie pure, ce ne sera que d'un œil. Et si des fois l'envie vous prend de danser - si, si c'est possible! - ce ne sera qu'en réfléchissant à deux fois où poser les pieds.
Oui,
Tremens Industry est un disque malade fait par un malade pour des malades.
Mouais, la fin de la quarantaine c'est peut-être pas pour tout de suite. On s'en fout on est dedans aussi. Et vous, ça vous tente ?
Chroniqué par
Yvan
le 15/11/2009