Le "zugunruhe" est cette sensation de stress apparaissant chez les animaux migrateurs, en captivité ou pas, au moment propice de leur départ. Le moins qu'on puisse dire c'est que cette définition nous aura permis de mieux appréhender le contenu du dernier disque de
Gayle "Pefkin" Brogan. On peut même ajouter que ce titre est carrément raccord avec la musique de cette dernière.
L'Anglaise signe ces six titres chez les Australiens de
Sound And Fury Records (
Adrian Klumpes,
Yellow Swans...). Un album inclassable qui défriche et déchiffre un territoire jusque là très peu connu de nos services, allant du free folk à quelques touches analogiques d'électro, le tout baignant dans des atmosphères ambient psychédéliques, anxieuses et surréalistes (
Ancient Wings From The Printing Stones, un sommet avec son sax funambule).
A l'entendre ainsi dériver sans complexe, on comprend la démarche, cathartique s'il en est, d'une artiste qui tente de faire ressentir tout un panel d'impressions pesantes à travers l'échafaudage de quelques pièces sonores, et on ne peut que la saluer pour sa persévérance. Mais difficile de prime abord d'y adhérer réellement, du moins sur le papier.
Après, si le concept peut perturber, musicalement on ne peut que reconnaitre que
Pefkin colle à son sujet avec talent. En tout juste une demi-heure, elle parvient à nous embarquer dans sa quête improbable de tension. Tension nerveuse, psychologique et sensorielle s'entend. Elle plonge avec finesse l'auditeur dans un bain bouillonnant d'incertitudes, que ce soit grâce à un blues perclus de drones acérés autant que flippants (
Third Part, marche mortuaire hallucinée) ou par l'entremise d'ambiances faites de l'alliance déroutante d'harmonie vocale en suspension, d'acoustique, d'électricité et de craquements inquiétants (le morceau éponyme, fleuve lent et brûlant de cette inquiétude). Tout est fait calmement, sans agressions sonores brutales, pour faire monter une somme toujours plus grande de sentiments agités (le drogué
Counting The Leaves That Tremble At Dawn, et ses carillons de chamane malade).
Générer du stress, voilà un drôle de credo, tenu d'une main de maîtresse, de l'introductif
Shells jusqu'à
Remember The Words, final folk éthéré tout de douceur paré. Douceur lacérée à mi-chemin de stridences électroniques sorties d'un clavier totalement dépressif.
Une conclusion à l'image de ce disque particulier et de sa créatrice qui prend un malin plaisir à plonger des décors d'une beauté rare et simple - ne seraient-ce que les quelques notes de sa voix magnifique - dans des méandres angoissés, certes jamais éprouvants, la dame prend des pincettes, mais bien trop minants, c'est certain maintenant. Âmes sensibles et amis instables, méfiance !
Chroniqué par
Yvan
le 29/10/2009