Savath & Savalas, c'est avant tout une histoire de rencontres. Celles d'artistes d'abord. Entre le producteur
Guillermo Scott Herren et
Eva Puyuelo Muns, chanteuse hispanophone, ce qui donnera
Apropa't et la ligne directrice du troisième
Golden Pollen.
Puis il y a l'arrivée au sein du duo de l'Equatorien
Roberto Carlos Lange, un multi-instrumentiste féru de psychédélisme tropicaliste déjà croisé avec son groupe
Boom & Birds, aux côtés de
Cyne (
Pretty Dark Things sorti en 2008) et sur quelques disques récents de
Herren sous la bannière
Prefuse 73 (Preparations/Interregnums, le 12" The Class of 73 Bells avec les School of Seven Bells et le dernier en date Everything She Touched Turned Ampexian). Un ménage à trois qui donne aujourd'hui La Llama signé une fois de plus sur un nouveau label : après Warp, et
Anti-, c'est chez la non moins prestigieuse maison de disques de
Madlib,
Stones Throw.
Mais c'est aussi la rencontre avec une musique, l'acid folk catalan des années 70. Une musique que
Savath & Savalas n'a eu de cesse d'explorer, de triturer, d'extrapoler.
Reprenant les investigations où ils les avaient laissées, le trio pousse encore un peu plus loin le curseur psychotrope. Enregistré en vase clos dans l'appartement New-Yorkais de
Guillermo - une situation qui va donner cette production étouffée - ces seize titres sont le croisement d'une étude approfondie d'ouvrages de divers artistes catalans (
Juan Manuel Serrat,
Maria Del Mar Bonnet ou
Lluis Serrahima) et d'un goût affirmé pour l'expérimentation.
Le résultat est un disque au goût boisé d'artisanat, lumineux et empreint d'une profonde nostalgie. Un objet sonore tout aussi singulier que les précédents, où la voix de cristal pilé d'
Eva se fait plus prégnante, celle de
Scott plus sporadique. Un choix qui tend à écraser quelque peu l'ensemble, le teintant d'une sourde monochromie, une sensation de monotonie rampante qui, dans le temps, détourne parfois l'écoute, la mettant en stand-by.
Une impression toute relative grâce évidemment à la portée fantasmatique de la vocaliste qui garde son effet ensorcelant (la berceuse psyché
Barceloneta ou le post-rockeux
Me Voy sont littéralement à tomber). Mais aussi, et surtout, grâce au regard nouveau apporté par
Lange, qui en véritable "fusionnaire" parvient à merveille par petites touches circonspects à sculpter la matière sonore protéiforme mise à sa disposition (le frénétique
Una Cura qu'un
Verocai n'aurait pas renié). Il lui donne ces contours flottants, imprécis qui vous poussent à entrer dans le morceau, à l'inverse de la voix de
Muns qui vous en extrait gentiment (les effu(zz)ions de guitares distordues sur
Carajillo ont cette force attractive).
Globalement l'amalgame, malgré ses petits défauts, prend assez bien et ce brassage d'électronique, de chants voilés, de bruits bricolés et de grattes sèches confère à
La Llama des atours de minimalisme psychédélique à haute teneur poétique.
Apaisant autant qu'érudit, ce disque enfin, nous rappelle à quel point
Guillermo Scott Herren est un personnage à part. Un artiste qui au-delà de sa notoriété et de sa boulimie musicale (pas moins de trois sorties en long format ce semestre sous différents pseudo
Prefuse 73,
Diamond Watch Wrists avec le batteur
Zach Hill et celle-ci) est capable de se mettre totalement au service d'un projet, faisant fi de son égo et de toutes contingences commerciales.
Si on avait encore des doutes à ce sujet, ce dernier opus les a levés, tant il respire l'humilité. Pourvu que ça dure.
Chroniqué par
Yvan
le 03/08/2009