Troisième grande étape de la collaboration – ô combien enthousiasmante – entre
Carsten Nicolaï (
Alva Noto) et
Ryuichi Sakamoto : un concert, fruit d'une commande passée par la ville de Mannheim, en Allemagne, à l’occasion du quatrième centenaire de son existence. La cité fut construite au 17eme siècle selon une vision totalement idéaliste, vision qui semble avoir motivé cette création baptisée
utp_, pour "Utopia".
utp_ est un nouveau terrain d’expérimentation pour les deux musiciens. Ils se font accompagner par un orchestre de chambre, l’
Ensemble Modern, alors qu'ils se satisfaisaient jusqu'ici du simple dialogue entre les machines et le piano. Pour autant, l’insertion de nouveaux instruments acoustiques ne change pas la donne. Ce qui franchit un nouveau palier, c’est l’approche de
Nicolaï et de
Sakamoto, la façon dont tous deux pensent leur association. Les deux comparses préfèrent entamer ici une véritable symbiose physique entre les éléments "naturels" et électroniques de leur musique. Le résultat s'avère délicat à aborder et bien loin de la beauté organique des précédents essais.
Pour donner vie à cette idée d’utopie,
Nicolaï et
Sakamoto créent des formes radicalement différentes, presque polarisées :
Particule 1 et
2 se présentent comme un maelström de sons concrets tandis que
Silence, avec ses drones étouffés, nous amène aux bords du néant. La performance est aventureuse et peut paraître franchement hermétique. Mais ailleurs, quelques idées formelles se révèlent plus accessibles : les magnifiques
Broken Line 1 et
2 par exemple, qui se placent dans la continuité des travaux passés du duo, ou encore les inquiétantes et cinématiques
Plateaux 1 et
Plateaux 2/end. C'est là que l'
Ensemble Modern s'affirme le mieux. En apportant une touche quasi-épique.
Il reste assez difficile d’appréhender le contenu d’
utp_, qui, après bien des écoutes, m'intrigue toujours autant. Chacun, en fonction de son expérience et de ses goûts, y trouvera quelque chose de différent. Mais tous devront faire preuve d'un minimum d'ouverture. Personnellement, je ne peux m’empêcher de regretter que
Nicolaï et
Sakamoto n’aient su rendre les expérimentations d’
utp_ moins "érudites", plus spontanées.