Faire quelque chose d'intéressant de la musique des années dix-neuf cent quatre-vingt-dix ne va pas de soi. Faire de la musique des années dix-neuf cent quatre-vingt-dix quelque chose d'excitant, cela relève au moins du défi. Défi des années, certes. Défi de la mode, aussi. Au loin les années quatre-vingt et leur actualisation clinquante. Oubliées le temps d'un disque, balayées d'un revers de la main, d'un coup de médiator, surtout. Négligées, elles le sont. Et surtout délestées de tout ce que, pour notre époque, elles révèlent de vide, de mépris du temps qui s'écoule réellement.
De couleurs,
The white face of Alison K. n'en manque pourtant pas. Sauf que celles-ci n'aveuglent pas. Au contraire, elles illuminent. Sombres pourtant. On voudrait dire qu'elles illuminent parce qu'elles sont sombres. On voudrait dire qu'elles éclatent parce qu'elles ne se montrent pas immédiatement.
C'est que
Sons of frida a choisi une composition complexe pour son premier long format : ouvrir par une plage éthérée — i.e.
Zé — comme vide, au sein de laquelle se dessine quelque motif qui ne sera pas repris dans la suite du disque. Mais plutôt expugné à force de force, à force de décibels, à force de volonté de vaincre le mur du son, de l'abattre une bonne fois pour toutes. À force de volonté de puissance. À force de finesse aussi. Et de mélodies taillées dans le roc de la musique dont
Sons of frida est l'aboutissement. À commencer par
Sonic Youth. Tout près d'eux. Si loin, en fait. Des intonations dans la voix comme sur
Bad dream, des sonorités noise comme des coupures des entailles des veines tranchées à vif dans le corps de la musique. Certes. Mais, une sensibilité qui les en distance, les fait exister à part entière dans un univers qui leur est propre.
Torticoli et sa cassure inaugurale qui sonne comme un moment lors duquel la musique s'enroule sur elle-même avant de se développer sur un ton post-rock classique certes, mais efficace.
Finalement c'est ça que saisit
The white face of Alison K. : cette énergie et ce sens des contrastes qui a fait de
Sons of frida l'un des groupes que j'ai pris le plus de plaisir à écouter en concert récemment (j'aimerais dire ici : l'un des groupes qui m'a le plus marqué en 2008 avec
Tortoise et
Enablers, mais ce serait pervertir le sens de leur musique). Un groupe sans manières et, chose notable, sans maniérisme aucun, qui parvient à faire vivre une certaine idée de la musique qui — enfin il faut le dire — n'a rien de datée : elle allie simplement puissance et sensibilité. Un peu comme la version post-rock d'un roman de Jane Austen. En plus direct.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 10/01/2009