Battles

Avouons-le tout de suite, on ne devrait pas parler d’un album de cet acabit trois mois après sa sortie. Qui plus est en plein mois d’août. Ces excuses liminaire formulées, entrons vite et fort dans le vif du sujet, comme nous a habitué à le faire Battles dans ses enregistrements et ses prestations scéniques. On avait quitté (de manière toute provisoire, et puis il restait toujours en bonne place dans les mémoires) le groupe l’an dernier après la réédition des trois premiers EP sur Warp et une poignée de concerts ahurissants. A peine le temps de souffler et les revoilà avec ce Mirrored, album de très haute volée, qui pousse plus avant l’esprit défricheur qui fait l’identité de la formation, tout en se payant le luxe de dérouter par ses choix formels.

Quels sont-ils, ces choix formels ? La présence de voix, pour commencer : des chants répétitifs, entre litanies obscures et rengaines kawai. Elles ne sont pas là pour porter la séduction et construire les compositions autour d’un noyau identifiable : elles sont toutes passées au travers d’une batterie de filtres, comme sur Atlas, où le pitch ne cesse de monter et descendre et de produire un son mutant, à la fois vocal et électronique. Seconde grande option formelle, l’injonction d’une sérieuse dose de dérision, disons d’humour, avec des mélodies guillerettes (Ddiamondd) qui rappellent de très loin les pratiques de certains activistes 8-bit, comme Teamtendo. Dernier tournant, l’ouverture de cette musique que l’on savait très abstraite, sèche et simple, à certaines musiques qui lui sont extérieures, comme ces whistlings de western spaghetti dans Race : In, ou quelques riffs et plans qui relèvent du rock’n’roll le plus pur. Si elle s’observe en train de s’élaborer, la musique de Battles est moins homogène que dans le passé immédiat, sans se perdre pour autant : on ne saurait dire si c’est heureux et réussi à tous les coups (les influences Ennio Morricone, tout de même, on en a soupé !), mais il faut saluer cette intransigeance qui pousse la formation prendre les décisions les plus troublantes en termes de confort auditif.

Reste, exploré plus profondément ici et à côté de ces grands tournants, ce qui était déjà présent dans les EP, et qui fait l’essentiel de l’efficacité du combo : la sécheresse inouïe de la rythmique, une écriture millimétrée qui se déploie par petites boucles, strates successives, phrases assemblées les unes aux autres dans un mélange savant de heurts (Tij) ou d’équilibres (Leyendecker), la balance constante entre la spontanéité, la violence et la mesure, la géométrie de l’ensemble. Atlas est le parfait exemple d’une musique qui trouve sa pleine force sur la durée et la progression pas à pas d’une construction entière, tout en se montrant capable de fulgurances renversantes : voir Tonto et son groove dévastateur. C’est cette lutte de la force avec le cerveau qui fait de Battles un groupe passionnant, et complet ; ce qui fait de Mirrored un disque essentiel, c’est la rigueur formelle qui innerve chacune de ces onze compositions de premier ordre.