Doctor Flake n'en est plus à ses débuts. Outre la sortie cette année de ce
Paradis Dirtyficiels, il a déja à son actif
Intervention Chirursicale, première prescription qui fit son effet à l'époque, assurant une clientèle fidèle à ce jeune praticien qui officiait alors en solo.
Paradis Dirtyficiels voit une deuxième tête pensante mettre la main à l'ouvrage :
Jérôme Meynet, ingénieur ès sons, pose ses scratchs sur 2 morceaux (notamment le très réussi
La Tête dans les Etoiles) et s'occupe plutôt de l'aspect physique des consultations, ce qui permet à l'instigateur du projet de se concentrer sur un volet plus psychologique, une spécialité largement assumée.
Cette approche en duo apporte une autre couleur qui, si elle était déjà en filigrane sur
Intervention Chirursicale, est ici plus efficace. Ce travail sur les nuances et la texture du son crée une dynamique nouvelle là où, sur le précédent opus, certaines fréquences parce que trop longues ou sous exploitées, tombaient parfois à plat. La structure cinématique narrative de cet album (voire quasi incantatoire sur le bristolien
Colloque Sentimental, attaque massive vénéneuse à souhait), ainsi plus ramassée, s'en trouve radicalement embellie.
Pas de canevas préfabriqués ni d'extraits apprêtés et empilables à la chaîne chez notre spécialiste. Qu'un morceau prenne un sample comme essence pour, en fil rouge, en devenir petit à petit son assise même (
La Thérapie ou le Shadowien
Spleen, sont exemplaires à ce titre), soyez certains qu'un autre ira dans la foulée chercher sa source dans la mélodie pour s'y isoler, y creuser son lit pour se laisser aller à la complexité, dans une langueur des plus sombres (
Only you).
Pratiquer ainsi la diversité n'est cependant pas sans danger, le pourvoyeur voyant sur la durée, sa crédibilité irrémédiablement mise sur la sellette. Un écueil que
Doctor Flake réussit à dépasser sans soucis (le
Prenez place introductif et les "titres-calembours" mis à part) grâce à une maîtrise technique au panel impressionnant (platines, sampler, laptop, claviers Midi...).
Autre problématique liée à cette volonté de multiplier les approches, celle de la matière première. Il faut d'une part connaitre les substances et leurs interactions et d'autre part en avoir un maximum à sa disposition.
Comme chez ces prédécesseurs et contemporains -
Dj Shadow époque
Endtroducing ou
Dj Oil ambiance
Express Way - la qualité et la quantité des échantillons comme de leurs manipulations sont colossales (à 90 % vinyls pour des samples aussi percutants qu'incongrus allant de la voix de
Gérard Philippe sur
La Tête dans les Etoiles aux rires sardoniques du démoniaque et plombé
Doctor Snake?). Flake , au même titre que ses pairs, peut donc se prévaloir de cette double compétence de prescripteur et d'apothicaire.
Autant de savoir-faire mis au service de pratiques particulièrement obscures. Ombres, rage et mélancolie sont en effet les maîtres mots qualifiant globalement les ambiances - entre down tempo et abstract - qui règnent au sein de ces
Paradis Dirtyficiels.
L'ensemble est empreint d'un spleen qui bien que profondément ancré , laisse doucement la place à une tension croissante (
Sueurs Froides et son rock bandé comme un arc ou
Licensed to Pills en sont des stigmates patentés). Même éclairée de-ci de-là de quelques exhortations à la détente et au repos, cette tension ira jusqu'à l'explosion. Et ce n'est finalement qu'après avoir essuyé cette dernière tempête dans nos crânes qu'arrivera le calme , lové au coeur d'une eau qui coule , sereine, dans le
Silence. Une thérapie par la tourmente en quelque sorte.
Doctor Flake n'est peut-être pas un précurseur dans son domaine, mais il vient assurément avec ce deuxième opus d'y ouvrir une nouvelle brèche, marquant de cette méthode singulière la rubrique antidépresseur de la pharmacopée électro. La Prozac Cie a bel et bien du soucis à se faire .
Chroniqué par
Yvan
le 18/05/2007