Pour les suiveurs de modes invétérés qui ont porté l’électro en étendard durant la seconde moitié des années 90 tout en beuglant « le rock est mort », avant de déclarer l’électro has-been et de célébrer sans aucun complexe le retour du rock à partir de 2001,
4hero est une affaire classée depuis belle lurette : pionners de la drum’n’bass, témoins des premiers pas des stars de la scène jungle (
Goldie en tête) ; l’intérêt de ce duo, pour ceux qui s’en souviennent encore, est aujourd’hui purement historique – c’est-à-dire nul. En revanche, pour quiconque doté d’une paire d’oreilles, d’un cerveau et d’une mémoire remontant à un peu plus loin qu’avant-hier,
4hero restera à jamais, parmi d’autres faits d’armes mémorables, le groupe qui a donné au monde
Two Pages, monumental double album sorti voilà bientôt dix ans, mais dont on n’a toujours pas assimilé toutes les splendeurs et les richesses.
Annoncé par un
Morning Child habillé de cordes soyeuses et porté par la voix douce de Carina Andersson (au timbre étonnamment proche de celui de Minnie Ripperton, dont elle reprenait déjà le sublime
Les Fleurs sur l’album précédent de
4hero),
Play with the Changes semblait vouloir retrouver le niveau de
Two Pages, six ans après un
Creating patterns fatalement en-deçà de son intouchable prédécesseur.
L’écoute de l’album vient pourtant nous rappeler à la raison : fort logiquement,
4hero a mis à profit ces six années pour poursuivre son chemin, sans prendre le temps de se retourner sur son chef-d’œuvre passé. Ceci posé, force est de constater que, contrairement à ce que laisse supposer son titre,
Play with the Changes n’est pas un disque de rupture, mais plutôt l’oeuvre de deux artisans qui continuent à perfectionner leur art, en approfondissant les pistes initiées sur
Creating patterns.
Ainsi, les rythmiques drum’n’bass, qui commençaient déjà sérieusement à disparaître sur l’album précédent, s’effacent ici presque totalement :
Bed of Roses, illuminé par la voix de la revenante Jody Watley, est le seul titre (excellent, du reste) à être porté par ces breakbeats que l’on peut dorénavant qualifier d’ « old school ». Dans le même ordre d’idées, Ursula Rucker, dont la présence avait tant marqué
Two Pages, occupe ici une position proche de celle d’
Horace Andy sur le dernier album de
Massive Attack – à savoir celle d’une icône aux interventions de plus en plus transparentes (le décevant
The Awakening).
Cependant, l’évolution la plus notable sur
Play with the Changes réside dans la différence d’approche entre les deux protagonistes du groupe ; déjà évidente sur
Creating patterns, elle donne à présent l’impression d’avoir affaire à un « split album » réunissant deux artistes solo. Ainsi, Marc Mac poursuit sa quête monomaniaque de soul orchestrale (sa reprise du
Superwoman de
Stevie Wonder, tout comme
Les Fleurs sur le disque précédent, est magnifique mais extrêmement proche de l’original, du fait notamment d’un mimétisme vocal assez troublant), raffinant sans cesse sa formule (le fabuleux
Look Inside et son groove inoxydable) au point d’en perdre parfois une partie de sa force (
Give in, dont l’orchestration luxuriante évoque la frange la plus raffinée de la nu-soul, manque un peu de personnalité – un comble pour une production
4hero !). Dego, de son côté, suit un cheminement exactement inverse, en osant dépouiller ses arrangements à l’extrême (
Sink or Swim, squelette rythmique destructuré sur lequel viennent se poser quelques accords de piano électrique et une sensuelle voix soul), en y injectant des éléments nouveaux et a priori incongrus (
Stoke Up the Fire, qui repose sur une boucle de guitare grasse et saturée, est l’une des grandes réussites du disque), et en ouvrant toujours davantage ses horizons musicaux (le morceau-titre, petit bijou jazz / funk auquel participe le grand Larry Mizell).
Si elles sont le garant d’une grande richesse musicale, ces directions artistiques opposées sèment le doute quant à l’avenir de
4hero ; à ce stade, en effet, l’implosion ne semble plus très loin... Si elle survenait, toutefois, le duo londonien laisserait derrière lui une oeuvre immaculée, dont cet album est un nouvel et éblouissant élément, même s’il n’égale pas les sommets du passé.
Dommage pour la mode, mais tant mieux pour l’Art.
Chroniqué par
Bigmouth
le 26/04/2007