Le Brésil...une destination fantasmatique de première main, dont les attraits atténuent malgré tout les défauts. Cet album de
The Walter Smith Project produit à Sao Paulo est à l'image de ce principe. Une image régie par le paradoxe. Celui d'un pays, à la tête duquel on trouve un homme issu du peuple et toujours les plus grands bidonvilles du globe, véritables mouroirs pour ce même peuple. Un pays où la beauté des esprits et des corps côtoient la puanteur des âmes maquerelles chantres d'un tourisme sexuel des plus ignobles qui reste toléré. La musique n'y est pas épargnée. Pour combien de mutations et de fusions - Tropicalisme ou
Amon Tobin en tête - devra-t-on se fader toute cette soupe électrojazzabossa en "cache-fève à la chic"?
Malgré tout, le Brésil continue d'attirer, de créer et de générer de nouveaux croisements. C'est sans étonnement qu'on voit arriver dans ce brassage de jeunes artistes débarqués de la Vieille Europe avec l'envie d'en découdre.
The Walter Smith Project est de ceux là. Avec quelques circonstances atténuantes, ou alibis c'est selon.
Colin Ozanne, le porteur du projet en question, a bidouillé quelques sons derrière les manettes du groupe brésilien
Armazem, d'où sûrement cette attirance pour cette partie de continent. En effet, aller croiser avec ses savants fous au plus près des frontières improbables du foro et de la musique contemporaine ne pouvait que laisser l'envie d'y retourner.
En ce qui concerne notre premier contact avec
The Walter Smith Project et la facture électro abstraite que prend cet opus, elle ne parvient pas à nous faire oublier le background de musicien multimodal qui colle à la peau de
Colin Ozanne (connexion avec
Elodie O,
Bed ). Mais à en juger par le niveau d'investissement personnel et la qualité de production de l'objet sonore, ce n'était certainement pas dans l'intention du bonhomme qu'il en soit autrement.
Rhoove, le morceau d'ouverture met à ce sujet les pendules bien à l'heure. Notre meneur semble s'être appropriée la devise de Sao Paulo : "NON DUCOR, DUCO " , en latin "Je ne suis pas conduit, je conduis". Sur ce projet, il a tout fait ou presque (
Frederic Aliotti, le pianiste impassible du
Cirque des Mirages intervient magistralement sur
Rhoove et
78 gouttes et
Peter Frasque, à la contrebasse, est aussi sur
Rhoove). Programmation, arrangements, interprétation, tout y passe.
Cependant, s'il s'avère être un musicopathe pratiquant, il ne donne pas dans l'exploration élitiste. En bon renard de studios, il met en œuvre dès les premiers morceaux une approche et une méthode cadrées et pour ainsi dire rodées. Du sample et des instrus, de l'électro dans l'organique et inversement pour des morceaux qui, pris un par un, sont très équilibrés et maîtrisés de bout en bout, trop peut-être (
Trois pianos est exemplaire à ce titre). Rien de palpitant sous le soleil, me direz-vous ? A quoi bon tout ce bruit, même ?
En fait, c'est dans l'agencement des morceaux qu'émerge l'originalité et que les choses prennent une autre tournure. L'ambiance qui en ressort, faite de styles éclectiques et d'influences variées (on pense à
Dj Shadow sur
26 décembre avec ces chants diphoniques, à
Wibutee et à l'école
Jazzland sur
Tithum avec son sax), déroutante par endroit (
£££, un titre prémonitoire du moins on l'espère pour lui, avec son intro entre
Manu Chao et
Morcheeba, taillé juste pour les charts F.M.), est assez surprenante et entêtante. Lancé sur les fausses pistes d'une écoute trop succincte, on finit même par se retrouver au milieu de l'album, le cul englué dans nos à priori (un morceau comme
Sadove-6 est bien loin de ce à quoi on s'attendait, court et folk, mélancolique à souhait, une perle).
L'état d'esprit qui règne dans cet album n'est pas celui qu'on voudrait lui voir endosser. On est, d'un côté, loin de la sacro-sainte performance technique, de cet agencement sonore compulsif surfait sensé légitimer l'acte créatif et une certaine conception ghettoïsante de la culture musicale. De l'autre, on dépasse d'une tête l'indigence de nombreuses productions electro jazz actuelles.
L'essentiel est bien ailleurs. Il est hors les murs du studio, il est dans cette ville de Sao Paulo, nonchalante et mélancolique, dont l'atmosphère, suave comme cette éternité qu'on rêverait d'y passer, transpire de
The Walter Smith Project. Alors, oui, çà sonne plutôt chaud sur
Octobleu, oui, çà ondule sur
78 gouttes, dans un groove humide qui apporte une autre lumière, prodiguant une dynamique toute particulière à l'album. Mais malgré toutes ces bonnes sensations, on n'est pas dupe, on sait bien que cela n'empêchera pas les esprits aigris de lui coller grossièrement l'étiquette « électro niaiseuse de milieu de route », même si l'artiste parvient assez finement à éviter l'écueil de ce cliché désuet. C'est d'ailleurs la plus belle réussite du porteur de projet, être parti enregistrer au Brésil et avoir su s'abreuver de la substantifique moelle du lieu pour en teinter quelques productions sans se faire vampiriser par le genre, garder cette fragrance locale tout en évitant de tomber dans le folklo et le putassier.
Le morceau final,
Newt-ec, résonne à ce niveau comme une véritable synthèse. Il se joue littéralement du décorum jaune et vert pour l'exposer plus au nord, direction Motor City. On n'est en effet pas loin d'être catapulté à coup de basse funk dans une de ces bacchanales Maison dont cet autre secteur du monde fut longtemps le siège. De tous les métissages entrepris plus ou moins à propos dans cet album, cette conclusion en forme de confluence - les fleuves Détroit et Amazone entremêlés dans un même bras - est la plus enthousiasmante de celles qu'on pouvait envisager. La preuve étant faite que du rêve au projet il peut n'y avoir qu'un pas, que les idées étant dans l'air il suffit peut être juste d'être à l'écoute et moins borner pour s'en imprégner et en profiter.
Chroniqué par
Yvan
le 28/03/2007