C'est une expérience étrange que de parler d'un disque dont on ne comprend rien des titres qui lui sont donnés. Expérience étrange et dépaysante parce qu'il faut accéder à la musique sans aucune des médiations linguistiques auxquelles nous sommes accoutumés. C'est une sorte de quasi-blindtest. Et, si l'on sait bien de quel groupe il s'agit, un doute subsiste malgré tout. Il faut se servir d'autre chose que de la langue pour y accéder. Ainsi, à la question simple : "Que veut dire ce morceau?", rien ne permet de de répondre, si ce n'est la musique elle-même. Pas le moindre indice, si ce n'est ces suites de notes, somme toute banale, fondées sur ce système qui va de do à do. Privé de tout langage intelligible, tu te retrouves face à la musique comme face à un bloc infrangible. Et, de fait, c'est ce bloc que
Té te jette à la figure. D'une arrogance inouïe, eux, ils savent tout, toi, tu n'y comprends rien. Tu es d'un occidentalisme atterrant. Aussi, quand ils te renvoient à la figure ce qu'ils ont ingurgité, digéré, compris, intégré, dépassé, de l'occident, tu n'y peux rien faire. Leur rock instrumental te cloue le bec. Entre ces trente premières secondes parfaitement "post-rock" dans ce qu'elles ont d'explosif, dans cette force de jaillissement qu'elles manifestement jusqu'au plus haut point et cette minute et trente secondes finale de hurlements et de riffs totalement punk, dans ces pauses lors desquelles est scandé le rythme à suivre, et qui atteste que les prises sont bien live, il y a toute l'étendue du talent de
Té, ramassé en quatre titres. Telle progression d'accord déclinée jusqu'à l'épuisement, reprise en sa plus simple expression, et développée et exténuée sans répit. Tout ici est direct. Là où l'on trouve d'habitude des fioritures, ici, au pire, il n'y a que des mélodies. Tout est précis, exempt de toute préciosité, net, efficace, implacable car impeccable. Tout est ostensiblement juste. Et, si tu n'y entends rien, ce que tu entends, c'est à dire, tu ne t'y trompes pas, c'est à écouter encore et encore — comme autre chose qu'un langage.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 08/02/2007