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Tortoise

: A Lazarus Taxon



sortie : 2006
label : Thrill Jockey
style : Post-rock

achat/téléchargement

Tracklist :
Disc 1.
01/ Gamera
02/ The Source of Uncertainty)
03/ Blackbird
04/ Sexual For Elizabeth
05/ To Day Retreival
06/ Whitewater
07/ Didjeridoo
08/ Autumn Sweater
09/ Wait
10/ A Grape Dope
11/ Restless Waters
12/ Vaus
13/ Blue Station

Disc 2.

Martin Cazenave demandait récemment, au détour d’un compte-rendu de sa journée au festival Sous La plage : « A-t-on besoin d’écouter Tortoise en 2006 ? ». La question, aussi pertinente qu’elle puisse être, était tranchée de manière laconique : « Non ».

Sans s’étendre sur le vocabulaire (Est-il vraiment approprié de parler de « besoin » en matière d’écoute ?), ni sur l’idée que l’on croit distinguer selon laquelle il y aurait un type de musique (sous lequel tombent un certain nombre de groupes) qui correspondrait à l’esprit du temps et que l’on pourrait écouter (pas moi, pas toi, pas nous, non, « on ») à l’exclusion d’autre(s), la parution du coffret, véritable somme musicale et visuelle (3 cd et 1 dvd) — A Lazarus Taxon de Tortoise — remet sur le devant de la scène un groupe qui aura marqué de son empreinte les années 1990.

Non sans humour, et avec une conscience de soi aigue*, Tortoise aura choisi de rééditer, publier et même parfois de déterrer des enregistrements qui ont jalonné sa carrière. En exhumant inédits, raretés et autres perles plus ou moins précieuses, Tortoise se montre comme un groupe en constante recherche, remettant sur le métier un même ouvrage, contraint extérieurement à des choix (comme ce Deltitnu évincé de It’s all around you pour des raisons de durée du disque).
C’est de cette démarche sans doute que participe le choix de ne pas procéder par ordre chronologique sur les deux premiers CD pour ne pas présenter une sorte de compilation d’introuvables, mais plutôt afin de tracer des parcours possibles entre plusieurs périodes (ainsi, Jeff Parker joue déjà sur un titre de 1995 alors qu’il ne rejoindra le groupe qu’en 1997 après le départ de David Pajo : Cliff Dweller Society), des parcours entre diverses approches d’un seul et même titre. Le titre qui ouvre le premier CD, Gamera est un remix de His Second Story Island (Tortoise) et Goriri (CD2) un remix de ce remix. Autre exemple : ces deux remixes de Ten Day Interval (TNT) par Autechre qui se trouvent disséminés dans les deux premiers CD (To Day Interval et Adverse Camber). L’idée étant sans doute moins de brouiller les pistes que de laisser se dessiner comme en creux une unité de style et d’inspiration, qui est aussi une musique traversée par les échanges avec d’autres musiciens.

La réédition de Rythms, Resolutions And Clusters (CD3) est peut-être un véritable document historique. Paru juste après Tortoise (1994), c’est un témoignage sur la croyance en une sorte de musique communautaire, une musique produite et reproduite, produite et remixée, pour laquelle les remixes ne sont pas des travaux de seconde main, mais ont, pour le dire ainsi, une valeur d’original équivalente à ce qu’ils remixent. Témoignage sur l’utopie de la possibilité d’une création en réseau, il est aussi la preuve d’un tournant qui s’est opéré au milieu des années 1990 : le disque ne contient pas la version ultime d’une chanson (Cf. Brian Eno, Unfinished, paru lui aussi en 1994, cité par Alan Licht dans sa notice qui accompagne le coffret) ; une chanson, un titre est — du moins “en théorie” — interprétable à l’infini, remixable à l’envi sans qu’aucune des versions ainsi produites n’en constituent une version définitive.
Disque daté donc, à tous les sens du terme, peut-être, Rythms, Resolutions And Clusters, associé à Tortoise n’en est pas moins une pièce maîtresse dans l’évolution de la musique actuelle.

Composé de courts-métrages, de captures de live et d’affiches de concert, le DVD est la partie la plus déséquilibrée du coffret.
Si les courts-métrages prolongent la présentation des collaborations de Tortoise dans le domaine de la synchronisation son et images, ils témoignent parfois d’un goût douteux. Salt The Skies, notamment, et ses membres du groupe submergés, assaillis, agressés par un intérieur quotidien : chaises, plantes vertes, peluches, fromages, farine (etc.) volants. Les trois films de Dave Ellsworth (Dear Grandma and Grandpa, Glass Museum et Four-Day Interval) tiennent du film expérimental, images défilant en accéléré de villes, de paysages, d’enfants jouant, de bateaux, etc. Tout se passe comme si ces films, à trop jouer la carte de l’expérimentation, se révélaient finalement assez lassants en ce qu’ils rejettent la musique au second plan, laissant libre court à une invasion d’images dont on peut douter qu’elle ait un réel rapport avec ce qu’elle pourrait servir. Question de goût, sans doute. À discuter, donc.
C’est bien plutôt en regardant les performances live que l’on parviendra à un niveau de jubilation suffisant : Monica en tête et ses deux batteurs engagés dans un face-à-face spatial et rythmique fascinant. Le Live In Toronto — période David Pajo — atteste d’un Tortoise direct, mélodique et finalement plus “post-rock” que ne le laisse penser ses deux derniers albums.
La palme reviendrait au Live in Chic-A-Go-GoTortoise, masque de singes, dans un playback absurde de Seneca offre un visage humain d’un groupe qui a fait de l’expérimentation sonore sinon un dogme du moins une règle et qui passe pour intellectuel — n’était le Live for “Burn To Shine”, tout en plans serrés sur les musiciens, trace d’une session d’enregistrement live de Salt The Skies. Document unique, ce sont ces images de visages déformés par l’effort et la concentration, ces corps en tension que l’on voudra finalement retenir.

Les images qui illustrent ce coffret prises par le photographe suisse Arnold Odermatt — images d’accidents de voiture — par les drames qu’elles présentent accentue encore ce côté humain de la musique de Tortoise, musique que l’on aurait pu croire désincarnée tant elle donne l’impression de se concentrer uniquement sur la matière sonore comme un travail abstrait sur les traditions musicales que sont le jazz et le rock.

Dans le paysage musical actuel, il est fort possible que Tortoise passe pour des dinosaures. A Lazarus Taxon, en plus d’être une somme de documents uniques sur l’histoire et l’évolution de la musique, met en avant un Tortoise tout aussi énergique que cérébral et inscrit par là-même le groupe dans un présent continu.





* « A Lazarus Taxon » — « un taxon de Lazare » — désigne en effet « un manque dans l’enregistrement fossile. Une espèce est ainsi présente dans des terrains anciens et récents, mais pas dans les terrains intermédiaires. Il est impossible que cette espèce soit apparue deux fois, donc, cela signifie que les organismes correspondants ne se sont pas fossilisés dans les couches intermédiaires, ou que les fossiles n’ont pas encore été trouvés. »


Chroniqué par Jérôme Orsoni
le 28/08/2006

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