Olivier Sens, bien qu’il ait baigné dans l’informatique pour être le fils de l’un des pionniers du domaine en France, a jusqu’à très récemment entretenu une relation très critique avec l’informatique musicale, assez peu satisfaisante selon lui. Plutôt que de l’utiliser pour introduire des sons de synthèse préfabriqués, il préfère donc concevoir son propre outil,
Usine, un logiciel qui réagit à ce que propose le soliste. Et ce faisant, il laisse l’initiative aux sons, ou plutôt, le musicien s’efface derrière son outil de production, comme si c’était la musique elle-même qui se mettait à parler ici – vieux fantasme de poète, mais toujours d’actualité, et incarné avec beauté ici.
Car on n’est jamais en territoire abstrait avec ce
Reverse, en dépit de la conception extrêmement formaliste de chaque morceau.
Guillaume Orti, saxophoniste issue du collectif Hask, compagnon de route de Benoît Delbecq dans
Kartet, insuffle au projet la quantité de vie et de chair nécessaire pour emmener le projet vers une intensité qui dépasse le simple intellect.
La première pièce,
circulation - pur électro, au titre ironique, propose en guise de pure électro une pièce de musique électro-acoustique assez proche des travaux de Christian Zanezi, à savoir une construction savante à partir de sons de synthèse et de sons concrets rendus méconnaissables par la machine. Ailleurs,
Olivier Sens aura à cœur de construire ses morceaux comme des combinatoires isolées et refermées sur elles-mêmes, dans un circuit fermé entre ordinateur et saxophone, qu’il reprenne
Eric Dolphy en inversant par ordinateur les phrases de sax et en en modifiant le tempo à chaque répétition (
Miss Ann – Fragmentation), que l’ordinateur génère des accords aléatoires (
Ne pas arrêter – Never) qu’il produise des phrases de saxophones impossibles à exécuter (
trio - event process – la falsification du son instrumental par l’informatique, emmené sur des territoires auxquels le musicien n’a pas accès : un concept à creuser), ou qu’il reconfigure par l’ordinateur le schéma rythmique de
Freedom Jazz Dance. Chacune des compositions du duo définit ainsi une manière originale de
composer, à l’aide de contraintes et sous forme de processus. Produisant un équilibre idéal entre intellectualité de l’ordinateur et incandescence du saxophone,
Reverse explore et renverse (c’est là son propos) à chaque fois de nouvelles voies d’improvisation et de composition. L’improvisation comme revers de l’écriture, le musicien comme revers de l’ordinateur (et non l’inverse) : voilà de belles propositions qui, on l’espère, seront explorées à nouveau. En attendant, ces treize titres sont largement roboratifs et stimulants.
Chroniqué par
Mathias
le 08/06/2006