Bonne nouvelle ! Après avoir dupliqué à l'infini son abstract hip-hop dada et nombriliste, le label
Anticon semble enfin vouloir passer à la vitesse supérieure. Après la sortie du surprenant
Burner d'
Odd Nosdam l'année dernière, le nouvel opus solo de
Jel vient confirmer le renouveau du label d'Oakland, Californie.
Après avoir participé à divers projets en compagnie de ses acolytes de label (
Clouddead,
Themselves,
13 & God), le producteur (et parfois rappeur)
Jeffery J. Logan retrouve son chemin en solo avec la sortie de
Soft Money. Armé de son séquenceur fétiche, le SP1200 (la machine culte des beatmakers), et bien épaulé par sa garde rapprochée,
Jel nous offre un album frais et personnel. Même s'ils n'apportent rien de nouveau à l'édifice hip-hop, ces douze titres sont un grand bol d'air frais, dans une frange du rap plus occupée à détourner les codes qu'à produire de la bonne musique.
L'album s'ouvre sur
To Buy a Car, ode anti-pub, avec un flow désinvolte qui rappelle
Beck (période
Odelay). On retrouve d'entrée le son génial du dernier
Odd Nosdam (qui est justement venu donner un coup de main à la production) : un mixage lo-fi mais paradoxalement très propre, avec un grain mat, râpeux, obtenu grâce à l'usage habile de la distorsion. Arrive alors la boucle hypnotique de
All Day Breakfast, nappe de tampura et de flûte indienne d'une douceur enivrante. Sur cette toile de fond onirique,
Jel déverse des rythmiques tourbillonantes gavée de delay, donnant une dimension épique à sa musique. La suite, bien que moins colorée et évidente, n'en est pas moins passionante.
No Solution, avec sa mélodie carillonante et sa basse bien grasse, s'enchaîne parfaitement à
All Around, où
Jel invite
Stefanie Bohm (de
Ms John Soda) à pousser la chansonette… et retombe un peu dans ses travers anticoniens, pour le titre le plus "abstract" du lot.
Thrashin remet les points sur les "i" à grand renfort de lead acide et de beat box saturé et surpuissant. Sur
Sweet Cream in It, on croirait entendre un
Rjd2 plein de fougue, avec cette guitare heavy jubilatoire qui déploie ses arabesques sur une base hip-hop minimale. Vient alors le moment du morceau titre, où on retrouve
Pedestrian et
Stefanie Bohm au micro. Plutôt réussi mais dans un style assez convenu, on préferera s'attarder sur le délicat et très aérien
Know You Don't, morceau au charme subtil et une des grandes réussites de cet album.
Une belle accalmie avant le furieux
WMD et son featuring de choix, la légende underground
Wise Intelligent (des
Poor Righteous Teachers). L'instru tendu de
Jel soutient à merveille le flow rageur et engagé du mc pour une totale réussite. Entouré par deux interludes décevants et peu judicieux,
Nice Last est le dernier moment fort de cet album. Comme pour
All Day Breakfast, le contraste entre la douceur impressioniste des samples enchevétrés et les beats débridés donne une profondeur totale à cette composition.
Les quarante minutes de cet album passent très vite, on ne s'ennuie jamais (pas de titres de plus de 4'30"). Pourtant on reste un peu sur sa faim. A l'exception de
WMD, les titres rappés/chantés peinent à convaincre, et
Jel semble plus inspiré quand il est seul face à ses machines. On pourra regretter que notre homme ne se soit pas plus livré ici, il n'en reste que
Soft Money est un très bon album qui laisse présager de bonnes choses pour la suite, que ce soit pour ce compositeur talentueux ou pour son écurie d'Anticon.
Chroniqué par
Rafiralfiro
le 17/04/2006