Pièce ambitieuse pour grand ensemble et électronique adaptée du roman de Pétrone autant que du film de Fellini,
Satyricon de
David Shea, réédité sur son label Metta, se proposait au moment de sa composition (vers 1997) de mêler orchestrations pour diverses formations instrumentales et utilisations samplées et manipulées de ces orchestrations, dans un jeu de dédoublement qui suivait la logique déjà engagée de la multiplication dès lors que Fellini donnait du texte une version qui prend presque le pas, en termes de puissance narrative et fantasmatique, sur le roman.
Dans un ensemble de saynètes et de situations localisées, ce disque fragmentaire représente autant un état du texte tel qu’on le connaît (incomplet) que la narration elle-même rhapsodique. Et de passer en revue les épisodes les plus marquants du livre : le fameux
Cave Canem du frontispice de la maison de Trimalsion, un éloge inquiétant à ce personnage dans
Trimalchio, amours troubles et cruautés pédérastiques dans
Giton’s Theme, une entrée en matière atmosphérique et bizarre dans
*Q, qui cherche à provoquer des mouvements de masses dans le corps de l’auditeur, dans une forme à la fois fluide, continue et hétérogène, la musique obéissant ainsi à ce principe du roman moderne (dont le
Satyricon est un peu, comme l’
Odyssée avec le poème épique, le premier avatar) de l’absence de frontières génériques, de l’excès (il est beaucoup question d’orgies dans le
Satyricon : orgies d’images, orgies descriptives, et ici bien sûr orgies de sons, sonorités en excès) : la satire, en premier lieu, c’est le mélange des genres. D’où la rencontre sur un même disque orchestré et savant de formes contemporaines, ambient, plus clairement électronica et même une explosion sonore sur des rythmiques drum’n’bass.
D’où cette note d’intention de
David Shea : «cet enregistrement adopte la narration fragmentaire du texte et se centre sur l’utilisation des langages musicaux modernes et traditionnels dans un flux musical et cinématographique. » Hybridation des genres, donc, mais aussi mélange des pratiques : cinéma, récit et musique (et même performance live puisque cette réédition contient un morceau composé pour les nombreux concertes donnés par
David Shea à partir de ce projet) réunis dans une pratique omniprésente de l’emprunt, de la traduction, de la transversalité. Une musique ouverte à l’altérité et qui n’a pas pris une ride, en dépit du grand âge de ses sources.
Chroniqué par
Mathias
le 23/03/2006