Les amateurs de musique électro-acoustiques auront pu suivre le pléthorique
John Hudak dans des projets tous plus étranges les uns que les autres :
Room with Sky en 2004 par exemple, entièrement produit à partir de la voix du compositeur.
Sotto Voce enfonce le clou littéraire et linguistique en prenant appui sur les écrits de Gertrude Stein (
The Making of Americans) et James Joyce (
Finnegan’s Wake).
« Ah, le plaisir d’entendre la voix de Joyce en personne lire son chef d’œuvre, son cosmos de mots-valises et de calembours où la jouissance du texte le dispute à l’illisibilité ! », vous réjouissez-vous comme moi avant vous. Vous n’y êtes pas. Vous n’entendrez pas une lettre prononcée par Joyce ou Stein ici : simplement la partition est issue de lectures de leurs propres textes, s’appuyant sur les rythmes, les inflexions et la vitesse de la voix des deux écrivains pour fournir au compositeur les hauteurs et la durée des sons. Le tout formant cinq pièces monophoniques pour violoncelle pizzicato relié à une interface midi.
D’une austérité à toute épreuve, et pourtant assez envoûtant si l’on se laisse prendre au jeu des rythmiques incantatoires des textes, ce
Sotto Voce engloutit en quelque sorte ces textes difficiles et opaques dans une sorte de prosodie purement abstraite, réduite à ses qualités de rythme et de hauteur, de timbre peut-être. Comme si la musique amenait la littérature à ce vers quoi elle n’a osé se livrer qu’en ses limites, en ses marges : la dissémination du signifié, la dissolution complète du mot dans le son, la suppression, à l’intérieur de la langue, de tout contenu linguistique, de toute communication verbale.
Travail absolument singulier, un peu monomaniaque dans ses choix initiaux, mais qui constitue une mise en espace et en son belle et – surtout – inattendue de ces textes fondateurs de la modernité littéraire.
Chroniqué par
Mathias
le 16/03/2006
