En proposant régulièrement des compilations exigeantes, la structure canadienne
Musicworks a charché simultanément à tirer dans les coins des musiques improvisées et électro-acoustiques et défricher la pointe de ce domaine. Situées dans une perspective critique autant qu’esthétique, ces compilations s’accompagnent d’une publication regroupant un ensemble de textes à caractère théorique ou d’essais critiques sur les artistes présents sur la compilation.
Cette édition de l’automne 2005 s’articule autour de l’idée d’éclectisme et regroupe trois musiciens pour qui le passage d’une pratique à l’autre constitue le cœur de l’activité musicale.
Au centre du disque, la pièce maîtresse,
Warm Weather with Soundballs d’
Eric Chenaux,
Marla Hlady et l’ensemble
Arraymusic. Un orchestre majoritairement cuivré improvise une longue pièce simultanément progressive et répétitive, hypnotique et envoûtante, en même temps qu’il déclenche aléatoirement un dispositif électro-acoustique, des soundballs (la soundball est une boule métallique perforée, on l’actionne à l’aide d’une pédale pour la faire diffuser aléatoirement des sons préenregistrés : sifflements, fredonnements, sons de guitare modifiés...) reliées entre elles. Une sorte de dispositif de sampling à géométrie variable et aléatoire qui ouvre des issues, des perspectives improvisionnelles dans le cadre d’un morceau écrit pour une formation large : en ce sens, elle est parfaitement représentative du travail d’
Eric Chenaux qui cherche toujours à dépasser l’écriture dans l’improvisation, insuffler l’improvisation à l’intérieur d’un matériau toujours déjà écrit.
Autour de ce petit événement improvisé s’articule les compositions transgénériques et transgénétiques de
Malcolm Goldstein qui cherche à conjuguer l’écrit et l’improvisé.
Where are we going when we’re standing still, looking backwards ? et
Approaching the Wall sont deux pièces où la partition consiste en un texte agrémenté de quelques croquis et fragments de partitions destinés à guider un interprète rendu momentanément aveugle par l’opacité et le caractère laconique de ces notes. Définissant
Approaching the Wall comme une « pièce de théâtre musical »,
Goldstein trouve dans l’idée de mur de quoi mettre en scène le problème des limites de la composition face à l’improvisation, et réciproquement. Ces interprètes chargés d’éxécuter une pièce muette sont alors moins des musiciens que des comédiens confrontés à une partition-mur qu’il importe de contourner, d’escalader ou d’accepter : la musique, en s’hybridant au Happening et à des expériences dramaturgiques (tout se passe sur scène, bien sûr, qu’elle soit réelle ou mentale) proches de celles du Living Theatre, retrouve alors l’enjeu profond de l’improvisation, une poésie du hasard où celui-ci se pense dans un présent perpétuel pour pouvoir se libérer et agir.
Ce tour d’horizon extrêmement ciblé de pratiques d’improvisation novatrices s’avère donc, complété par une réfléxion écrite des plus stimulantes, un passage recommandé pour tout auditeur qui s’intéresse de près ou de loin à la question.
Chroniqué par
Mathias
le 27/02/2006
