La rencontre entre
Tortoise et
Bonnie ‘Prince’ Billy était attendue au tournant. D’un côté, l’un des groupes parmi les précurseurs d’un post-rock à géométrie variable, de l’autre un cow-boy lo-fi à l’aura grandissante et à la boulimie discographique affichée. Une "dream-team", rêvée par certains, qui laissait augurer le meilleur pour
The Brave and the Bold. Mais peut-être était-ce leur prêter là des intentions qu'ils n'avaient pas.
L’ouverture de l’album brouille ainsi les pistes, avec le très enlevé
Cravo é canela, affichant une euphorie qui tranche avec la formule attendue. Ni post-rock, ni folk dépouillé, ce premier titre révèle surtout un bonheur évident à jouer ensemble. Une orientation qui contribue à expliquer le choix d’un album de reprises, espace propre à la liberté et au plaisir.
La suite du disque ramène pourtant la musique de
Tortoise & Bonnie ‘Prince’ Billy vers des territoires plus proches de leurs styles respectifs. La reprise du
Love to love de
Lungfish dégage ainsi des lignes directrices rappelant les récents travaux de
Tortoise, entre art de la répétition et incises électroniques. Une démarche plus évidente encore sur
Daniel, chanson empruntée à
Elton John, tant la structure diffère de l’originale. Ne conservant que la mélodie chantée, ce titre est peut-être l’une des plus belles réussites de l’album, où le souci de la réinterprétation rejoint l’alchimie de la collaboration.
Plutôt qu’un renouveau utopique, la rencontre trouve ainsi sa vitesse de croisière, créant un mélange équilibré entre les aspirations de chacun. La démonstration la plus frappante est sans doute
The calvary cross. Construit autour d’une boucle de guitare qui rappelle quelque peu le
Along the bank of rivers de
Million Living Now Will Never Die, le morceau se transforme ensuite, jusqu’à l’apparition de backing vocals inattendues.
Malgré quelques titres plus faibles (
It's expected I'm gone,
That's pep), l’alchimie fonctionne donc entre le groupe de Chicago et le chanteur de Louisville, et donne même naissance à de vraies réussites. Ainsi, le blues dépouillé de
(Some say) I got devil parvient à recréer les contours d’un Ouest hanté, habité par la voix inimitable de
Will Oldham. De même,
Pancho s'impose comme un modèle de ballade pop sucrée, inattendue ici.
Si
The Brave and the Bold ne manquera pas de décevoir ceux qui attendaient un hypothétique monument post-folk, il saura séduire ceux plus lucides qui connaissent la force d’une chanson. Sans renier les marottes propres à chacun, l’association entre
Tortoise et
Bonnie ‘Prince’ Billy débouche sur un album à l’apparence apaisée, traversé pourtant de ruptures discrètes. Une rencontre sans prétention, juste pour le plaisir de la musique.
Chroniqué par
Christophe
le 29/01/2006